« Non, je n'étais pas né pour ce bonheur suprême
De mourir dans vos bras, et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu'à ma douleur même...
Si je vous le disais, pourtant, que je vous aime. »
L'évènement marquant de sa vie,
le tournant de son histoire.
Le téléphone sonne, Lauri cesse son activité, laissant l’eau des pâtes chauffer pour aller répondre, il jette un coup d’œil à sa femme, assise confortablement dans leur canapé au salon, en train de lire un livre, passion commune qu’ils ont pour la littérature, une pièce de leur maison n’est consacrée qu’à cela et est remplie de livre de tous genres, leur bibliothèque est de ce fait assez impressionnante alors que leur maison est on ne peut plus modeste. Il lui sourit, et hoche la tête en réponse à son interlocuteur qui ne peut de toute façon pas le voir.
« Oui, bien sûr, ce soir à dix-sept heure, ça ira. Merci bien docteur. » Lauri raccroche, Elina ayant entendu la conversation a sorti le nez de son bouquin et regarde son mari, un air inquiet dans les yeux. Lui s’approche, reste debout derrière le sofa et pose doucement une main sur l’épaule de sa femme.
« Il a les résultats, nous devons aller le voir en fin d’après-midi, il n’a rien voulu me dire par téléphone. » Le cœur lourd, il se doute que les nouvelles ne sont pas forcément bonnes, madame Mäkinen également, qui, si elle ne dit rien, laisse couler quelques larmes qu’elle tente de cacher à son époux en se replongeant dans les pages de son livre. Lauri n’est pas dupe, mais la laisse pour retourner à la cuisine. Depuis quelques temps, un fossé a commencé à se creuser entre eux, ce n’est pas qu’ils ne s’aiment plus, mais l’absence d’enfant se fait ressentir chaque jour un peu plus.
Tous deux prêts un peu avant dix-sept heures, c’est anxieux, la boule au ventre et la gorge nouée qu’ils se rendent ensemble chez leur médecin. Depuis de nombreuses années qu’ils tentent d’avoir un enfant sans succès, ils ont fini par se résoudre à aller consulter, afin de comprendre pourquoi cela ne vient pas. Ils auraient pu, ils auraient dû le faire plus tôt, ce n’est qu’en voyant leur couple se fragiliser, s’ébrécher au fil des jours, qu’ils se sont décidés. Ils ont fait plusieurs examens et aujourd’hui, ils doivent recevoir les résultats de leurs tests afin de savoir si l’un d’eux est stérile. C’est ce qu’ils redoutent le plus, l’un comme l’autre. C’est en couple encore soudé en apparence qu’ils entrent dans le cabinet du médecin et viennent faire face à leur triste vérité.
Assis l’un à côté de l’autre, face à cet homme qui va ébranler dans quelques instants leur vie, par quelques mots qui vont venir tout briser entre eux en mille éclats. Lauri presse la main de sa femme au moment où le médecin s’apprête à prendre la parole. L’homme fait un grand discours, Lauri soupire, que du blabla pour les mettre en condition, les préparer doucement au chaos inexorable qui les attend. Du discours du médecin, il ne retient que deux phrases
« Monsieur Mäkinen, le problème ne vient pas de vous, tout fonctionne parfaitement. » et celle qui a suivi et qui a provoqué l’effondrement d’Elina et du couple
« Je suis sincèrement désolée madame Mäkinen, vous avez une anomalie gynécologique appelée Endométriose, qui empêche la fécondation... » Lauri n’écoute plus, il est ailleurs, sa femme est en larmes, elle sanglote, il réagit à peine, abasourdi par la nouvelle, étant persuadé qu’on allait lui annoncer qu’il était la cause, qu’il est celui des deux à être stérile. Il se reprend, essaie de faire bonne figure devant le médecin, se rapproche d’Elina pour l’entourer de ses bras, elle le repousse en état de choc, point de non-retour, après cette fois-là, elle ne cessera de le repousser encore et encore, les séparant toujours un peu plus l’un de l’autre malgré les sentiments qu’ils partagent encore l’un pour l’autre. Lauri ne sait pas, ne sait plus ni quoi dire ni quoi faire...
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Et si on reprenait tout depuis le début ?
I. Do you want a cup of tea ?
Big Ben l’imposante résonne dans les rues de Londres déjà assombries par le soleil qui se couche lentement derrière les nuages qui l’ont caché une grande partie de la journée. Dix-sept heures, l’heure du thé, et on ne déroge pas à la tradition chez les Mäkinen, car si papa est finlandais, maman est une anglaise pure souche.
« Lauri, mon chéri, veux-tu bien descendre au petit salon, c’est l’heure du thé et tu sais que ton père n’aimera pas si tu n’es pas à l’heure. Et prends ta petite sœur avec toi. » Le garçon, de dix ans à cette époque, lève la tête de son cahier d’étude au doux son de la voix de sa maman, le range à sa place sur l’étagère destinée à sa scolarité, car il ne va pas à l’école comme les autres enfants, ce sont des professeurs particuliers qui viennent lui faire classe à domicile. Monsieur Mäkinen est ambassadeur, et donc haut placé dans la société, et il ne veut pas que quiconque puisse se servir d’un de ses enfants contre lui. Lauri donc, se lève, sort de sa chambre et réponds d'en haut d’une voix claire et suffisamment forte pour être entendu sans avoir à crier. Son éducation assez stricte, fait de lui un enfant plutôt sage et distingué, même s’il n’est bien évidemment pas sans défauts.
« Oui, mère, nous descendons immédiatement. » Il se dirige rapidement vers la chambre de sa cadette, frappe à la porte selon un code établi et connu d’eux seuls. La voix fluette de sa sœur lui autorise d’entrer, il entrouvre la porte, passant simplement la tête en lui souriant.
« Emy, maman nous a appelés, c’est l’heure du thé. » La jeune fille soupire un peu, elle n’aime pas, Lauri non plus d’ailleurs, mais ce sont les règles, et ils doivent s’y tenir sous peine d’être fortement réprimandés. Tous deux sont assez fusionnels, elle est sa sœur, mais aussi sa confidente et sa meilleure amie. C’est normal, ils sont proches en âge à peine plus d’un an de différence et n’allant pas à l’école, ils ne côtoient que peu d’enfants.
« Allez viens, on va se faire enguirlander autrement. » Il lui tend son bras pour l’inviter à le suivre. Entre eux pas de manière, ils aiment être normaux, juste des enfants, et non pas de minis adultes, mais dès qu’ils se retrouvent en présence de leurs parents ou d’une tierce personne, on peut voir à travers eux, toute la bonne éducation dans la pure tradition britannique qu’ils ont reçue. Ils descendent le grand escalier de la demeure, main dans la main, le dos droit, le menton relevé, et arrivés au petit salon, ils baissent les yeux en une légère révérence, signe de respect envers leurs parents.
Assis en famille, autour de la table joliment dressée avec vaisselle en porcelaine, les tasses remplies du liquide encore fumant et en son centre un plateau de petits biscuits confectionnés l’après-midi même par la cuisinière, Lauri le sait, il a senti la bonne odeur émanant de la cuisine, alors qu’ils cuisaient. À leur vue, il se les imagine encore un peu tièdes et fondant sous le palais, c’est ce qu’il préfère à l’heure du thé, les biscuits de Rosana, et son estomac le lui rappelle dans un bruit qu’il n’est pas le seul à entendre. Pouffement de rire d’Emy et regard désapprobateur du paternel, Lauri baisse les yeux, se confond en excuse, mais outre son côté bien élevé, son impulsivité bien scandinave prend parfois le dessus et ne peut s’empêcher d’ajouter la phrase de trop.
« Mais ce n’est pas de ma faute, je ne contrôle pas mon estomac. » Monsieur Mäkinen se lève outragé par l’arrogance de son fils, il lui en faut peu pour prendre la mouche, autant Lauri est impulsif, autant son père est susceptible.
« Comment oses-tu me répondre Lauri ? » Le garçon se lève à son tour, et défie son père du regard.
« Avec ma bouche bien évidemment, monsieur. » Sourire narquois, il le provoque tout en sachant qu’il sera au final le perdant. Il attrape deux ou trois biscuits, jette sa serviette sur la chaise et quitte la pièce d’un pas rapide.
« Jeune homme, tu reviens ici tout de suite ! C’est un ordre. » La voix de sa mère d’ordinaire si douce, est bien plus autoritaire qu’à son habitude, cela arrête Lauri immédiatement. Si cela l’amuse de provoquer son paternel, pour entre autre lui faire payer ses nombreuses absences, jamais il n’oserait faire de même avec sa mère qu’il aime et respecte profondément. Le garçon revient alors sur ses pas, reprenant cet air guindé qu’on lui a appris à avoir en toute circonstance et se rassoit à sa place, comme si de rien n’était, mais les regards qui pèsent sur lui ne font aucun doute sur ce qui l’attend après. Le moment du thé s’est sacré dans la famille Mäkinen, la punition ce sera pour plus tard.
II. It is time to grow up, darling.
Les flocons de neige ne cessent de tomber depuis des jours, les centimètres de la poudreuse s’accumulent et la neige recouvre ainsi entièrement de son froid manteau blanc le jardin du manoir Mäkinen, offrant comme chaque année un terrain de jeu des plus plaisants aux deux enfants de la famille, qui ne sont plus vraiment des enfants depuis quelque temps, mais qui ont tendance, surtout en cette période de l’année, de se comporter encore comme tels. Habits de circonstance, bonnet, écharpe, gants, paré pour une bonne heure de détente avec sa tendre Emy, au programme : bataille de boules de neige, avant leur séance commune d’équitation, passion qu’ils partagent, puis ce sera l’heure de mathématiques qu’il exècre et enfin celle qu’il préfère, l’heure de cours sur la littérature anglaise. Il s’est pris de passion pour les livres très tôt, jamais il n’a rechigné à lire un livre qu’on lui imposait pour ses cours particuliers. Mais pour l’heure, cette pause allait à tous les deux leur faire un bien fou.
« Prêt, grand frère ? » Lauri opine du chef et n’attend pas pour lancer les hostilités, attrapant aussitôt de la neige entre ses mains, formant une boule compacte qui s’écrase quelques instants plus tard sur le bras de sa cadette. Fou rire des deux parts.
« Tu ne perds rien pour attendre Lauri. » Aussitôt dit, aussitôt fait, à son tour il reçoit en pleine face de la neige. Il rit fort.
« Bien visé Emy. » Il lui court après, l’attrape et la fait tomber dans la neige, tombant avec elle. Second fou rire, interrompu par le visage consterné de leur mère au-dessus d’eux. Il se redresse et se relève et aide sa sœur à en faire de même.
« Mais vous avez quel âge tous les deux ? Quinze et quatorze, me semble-t-il, pourtant en vous regardant je jurerais que ce n’est pas plus de cinq. » Regard complice et amusé entre eux.
« Désolé maman. Mais n’a-t-on jamais le droit de s’amuser un peu ? » Elle le regarde, choquée, comme s’il venait de dire une ignominie.
« Je ne vous ai jamais interdit de vous distraire, mais il y a des façons autrement plus intelligentes et utiles de le faire que de se rouler dans la neige comme un enfant. Il est temps de grandir un peu Lauri. » L’adolescent fait la moue, il commence de plus en plus à en avoir assez de cette vie trop lisse, trop parfaite, trop tirée à quatre épingles en permanence et d’être constamment confiné à l’intérieur des grilles du manoir. Il ne manque de rien, c’est certain, mais il a l’impression de vivre dans une prison dorée qui l’étouffe de plus en plus.
Voyant que sa mère semble vouloir le lancer sur des sujets plus sérieux et d’avenir, il lui vient une idée, il va négocier sa liberté.
« Rentrons, nous serons mieux à l’intérieur pour discuter. » Lauri reprend son flegme de gentleman et offre un bras à sa mère pour qu’elle y prenne appui afin de traverser le jardin jusqu’au manoir, laissant une Emy boudeuse derrière eux. Une fois bien au chaud et surtout bien au sec, il aide madame Mäkinen à se défaire de son long manteau, puis pour se faire pardonner, fait de même avec sa cadette, qui ne boude déjà plus et lui sourit.
« Dis Emy, tu peux aller demander à Rosana s’il lui reste des biscuits et si c’est le cas qu’elle nous les apporte avec du thé. » Elle acquiesce sans broncher et se dirige vers la cuisine tandis que Lauri rejoint leur mère au petit salon. Assis l’un en face de l’autre, ils se regardent, s’observent, aucun ne se décide à commencer, sachant par avance qu’il y aura conflits d’intérêts à un moment où l’autre. Emy revient avec thé et biscuits, pose le plateau délicatement sur la table, Lauri lui sourit.
« Merci, Emy, tu te joins à nous ? » Il espère un peu de soutien de sa sœur, mais elle décline l’invitation. L’adolescent reporte son attention sur sa mère, respire profondément et se lance enfin, ouvrant ainsi la discussion et le débat.
« Je te propose un marché. Je cesse de me comporter comme un enfant comme tu le dis si bien, mais en contrepartie, vous cessez de me traiter comme un enfant qui a besoin d’être protégé et me laisser un peu voir la vie en dehors du manoir... sans vous. Alors qu’en dis-tu ? » Lauri se tient bien droit comme il se doit, montrant sa bonne volonté. Il n’aime pas ce monde trop étriqué, mais s’il doit jouer le jeu pour avoir un peu de liberté alors soit, il est prêt à continuer la mascarade de la trop bienséance, pour grappiller quelques moments où il pourra être simplement lui. Il voit bien qu’elle est encore sous le choc de sa demande, elle n’a pas encore moufté un seul mot. Il se lève légèrement et lui verse du thé dans sa tasse, y ajoute un demi-sucre comme elle fait toujours, puis s’en sert une tasse aussi, ayant fini par apprécier un minimum ce breuvage que petit il détestait. Lauri tourne machinalement une petite cuillère dans sa tasse, alors qu’il ne met jamais de sucre, mais c’est un tic qu’il a pris étant petit en imitant sa mère.
« J’avoue que tu me prends au dépourvu Lauri, mais je t’accorde le fait que nous avons ton père et moi peut-être trop tendance à vous protéger ta sœur et toi. Je veux bien te concéder ce marché, et à Emy aussi, qui je sais n’est pas restée avec nous, mais écoute malgré tout. » Emy se montre, les joues rosies par la honte, mais qui affiche tout comme son frère un sourire d’excitation.
« Je vous arrête jeunes gens, ne vous enflammez pas trop encore, j’accepte, sous condition que votre père l’accepte également. Je lui en ferais part à son retour, mais je ne vous promets rien. » Lauri se lève, et vient embrasser sa mère sur la joue
« Merci mère. » Puis avant de se rassoir, il se laisse surprendre par l’étreinte inattendue provenant de sa cadette.
« De rien Emy. » Le soir venu, c’est heureux et avec une estime de lui-même requinquée qu’il s’endormit, ses arguments ont été efficaces, monsieur Kaurismäki accepta également, mais pas sans une légère pression de madame bien entendu.
III. This isn't a goodbye, only a new beginning.
C'est exténué de son voyage qu'il pose les valises dans l'entrée du grand manoir de son enfance. Les voyages en avion n'ont plus aucun secret pour Lauri aujourd'hui. Entre les voyages réguliers en Finlande, son pays natal pour y visiter la famille de sa mère depuis qu'il est enfant, et ajouté à cela que ça fait bien des années qu'il a quitté Londres pour s'installer à Paris, sublime capitale française où il est désormais professeur à l'université, il est rôdé. Il n'a pas choisi de venir enseigner là, pas plus qu'il n'a choisi Paris pour y vivre. Une proposition de poste à l'étranger et son envie de quitter ses parents, qui malgré tout continu de désapprouver son choix de métier. Besoin de respirer, de prendre l'air et de la distance avec cette vie qui l'a toujours emprisonné et étouffé. Il vient passer Noël en famille et se fait accueillir sobrement par ses parents qui, s'ils ne montrent pas leur joie outre mesure n'en sont pas moins heureux de retrouver leur fils ainé. Il n'en est pas de même en ce qui concerne sa petite soeur qui lui saute au cou. Son manteau encore sur les épaules, il la sert à la taille, la soulève et la fait tournoyer un peu.
« Toi aussi tu m'as manqué Emy. » Ils se mettent à rire comme deux enfants sous le regard affligé de leurs parents... comme au bon vieux temps.
« Elina n'est pas avec toi ? » Lauri soupire et évite le contact visuel avec ses parents. Le ton de la question est rempli de reproches, il le sent bien. Ce n'est pas qu'ils n'apprécient pas sa femme, c'est juste qu'encore tant d'années après, ils continuent de désapprouver ce mariage, qui à leurs yeux a été contracté beaucoup trop tôt, trop vite, trop jeune. Alors toute raison est bonne pour le lui rappeler, comme cette absence.
« Non, cette année elle a décidé elle aussi de passer les fêtes de fin d'années dans sa famille tout simplement. » Beau mensonge, c'est qu'ils ne communiquent plus vraiment ces derniers temps, et elle n'avait pas envie de bouger, de faire le trajet, à vrai dire, elle n'a plus envie de grand chose, même plus de lui et le repousse sans cesse. Mais il préfère mentir, ne leur ayant pas encore parler de leur problème à concevoir et donc de la dépression dans laquelle ça a plongé Elina. Lauri voit bien que ses parents restent dubitatifs, mais ils ne répliquent rien, seul Emy semble comprendre que quelque chose ne va pas, mais elle est la seule à savoir la vérité.
« Viens Lauri, on va monter tes affaires dans ta chambre en attendant que le souper soit servit. » Il acquiesce en articulant un merci silencieux à l'égard de sa soeur. Il prend congés de ses parents et avec l'aide de sa cadette, ils se rendent à l'étage. À trente-quatre ans passé, la complicité et ce lien fusionnel entre eux est toujours autant d'actualité. Ils prennent place sur le grand lit, assis en tailleur, l'un en face de l'autre, comme lorsqu'ils étaient enfants et pouvaient passer des heures à discuter ainsi. Emy lui prend les mains pour l'inciter en silence à se confier à elle, ce qu'il fait sans retenu et qu'il en vient pour la première fois à parler de Juline, son élève... sa maitresse, cette autre femme qu'il aime aujourd'hui.
Il sait que sa cadette ne le juge pas, mais il voit bien, peut-être pas qu’elle désapprouve complètement, mais clairement qu’elle ne comprend pas bien. Sans doute, et depuis le temps que son frère est avec Elina, elle n’avait jamais du concevoir ne serait-ce qu’une bribe d’idée qu’il puisse un jour être avec une autre femme. Lauri serre les mains de sa sœur entre les siennes, sentant qu’elle a besoin d’entendre toute l’histoire pour comprendre, pour le comprendre et puis au fond, ça lui permet à lui aussi d’en parler, garder tout ça pour lui n’est pas évident, puisqu’il doit cacher cette relation, en tant que mari, mais aussi et surtout en tant que professeur, il met en péril sa place en ayant cette liaison avec elle.
« Je sens que ça te déroute, mais je n’ai rien prémédité, c’est venu comme ça, naturellement. Elina me repousse sans cesse, refuse tout contact, ça fait presque deux ans, peut-être un peu moins, que je ne l’ai pas touchée, depuis que le médecin lui a annoncé la nouvelle. On se parle à peine, je ne sais plus quoi faire. » Il prend une profonde respiration, puis se lève, et marche en tournant dans la chambre, se passe une main dans les cheveux, n’arrive pas à rester en place.
« J’ai rencontré Juline en revenant de chez les grands-parents, à la fin de l’été, l’année dernière, à l’aéroport. » Sa sœur l’observe, le voit nerveux, mais ne dit rien, se contentant de l’écouter pour le moment et de hocher la tête de temps en temps pour lui montrer qu’elle reste attentive à ce qu’il lui raconte. Il poursuit en lui expliquant que le hasard les a mis sur le chemin l’un de l’autre, loin de chez eux, mais ils se rendaient au même endroit. Il la rassure en lui disant aussi que leur relation n’a pas commencée à ce moment-là, c’est venu petit à petit, ils se sont retrouvés, car Juline cette année-là a fait partie de ses élèves, ils se voyaient donc obligatoirement régulièrement.
« Je n’ai pas vu venir ce qui était en train de se passer, mais plus le temps passait, plus je ressentais les choses différemment en sa présence, plus elle prenait de l’importance dans ma vie, dans mon cœur. Même si au fond j’ai été séduit je pense dès le départ. » Emy rit à la dernière phrase
« Lauri tu as beau être avec Elina depuis, au moins presque toujours, tu as toujours été un séducteur, tu aimes charmer les gens, ne dit pas le contraire, et c’est un juste retour des choses que pour une fois c’est toi qui te sois fait charmer. » Elle rit, elle veut détendre un peu l’atmosphère, elle y arrive, Lauri rit avec elle.
« Je suis celui qui l’a embrassé le premier, un soir où elle était restée après le cours pour qu’on discute d’un devoir qu’elle m’avait rendu. Ça fait presque un an maintenant que je suis avec elle, sans arriver à quitter Elina pour autant. Je m’en veux de leur faire ça à toutes les deux, mais je les aime, et Juline m’apporte tout ce que je n’ai plus avec ma femme, douceur, attention, en fait je n’ai plus rien avec Elina depuis bien longtemps, depuis le jour où elle a décidé de se renfermer sur elle-même, ne me laissant aucune possibilité de l’aider, de l’épauler. Je l’aime toujours, encore un peu, et je reste parce qu’elle a encore besoin de moi, tant qu’elle ne va pas mieux, je ne peux pas l’abandonner... » Véritable confession, il prend vraiment conscience de l’ampleur de son dilemme, tout en ignorant encore qu’il sera encore plus important d’ici peu. Le fait d’en avoir parlé à sa sœur l’allège un peu, un temps, maintenant il sait qu’il a quelqu’un à qui en parler quand il en aura besoin.