«Oui, je hurle. De toutes mes forces. De toute mon âme. Mais le cri d'une mère qui accouche ne ressemble en rien à celui d'une mère exhumant son fils : celui-ci est un cri sans délivrance.»
-Tu dors ? -Oui, je dors. Pieu mensonge. Comment pouvait-il dormir alors que sa petite amie ne cessait de remuer toutes les cinq secondes ? Comme si elle en était arrivée à la même conclusion, Maëlys (Maë pour les intimes) se redressa et alluma la lampe de chevet.
-Putain Maë ! J'ai une grosse réunion demain ! J'ai besoin de dormir. -Et s'il était anormal ? Demanda la jolie métisse.
Et si pour une raison ou pour une autre il avait onze doigts de pied ? -Ba il pourra s'accrocher plus facilement aux arbres, répondit le jeune homme, l'air calme et sérieux.
Ne prêtant pas vraiment attention à ce que venait de dire son compagnon, Maëlys, s'empara de son iPhone.
-Sérieusement ? Tu veux vraiment faire une recherche sur les orteils ? -Oui ! Levant les yeux au ciel Aaron tenta de trouver les mots justes. Depuis qu'elle était enceinte, Maëlys imaginait tout un tas de maladie et de déformation physique, se ruant sur internet à chaque fois pour vérifier des sources.
-Chérie, répondit Aaron, prenant la voix d'un médecin parlant à un patient légèrement atteint, notre bébé va très bien.
Il aura le même nombre d'orteil que tous les autres bébés du monde. -Mais... -Pas de mais ! Tu me donnes ton téléphone et tu éteins la lumière pour que toi, moi et le bébé on puisse se reposer. A regret la jeune femme obtempéra et finit par se blottir dans les bras de l'homme qu'elle aimait.
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-On tire au sort ! -Non, on va pas tirer au sort. Je vais pas jouer le prénom de mon fils sur un coup du sort ! On a qu'à voter avec la famille. -Ba voyons. T'as trois soeurs, je suis sur de perdre ! -Mais c'est que justice ! Qui a pris des fesses et des seins ? Qui ne peut plus mettre ses chaussures préférés ? Hein ? Qui ? Tu crois qu'il pèse rien Enzo ? Ba si il pèse ! Et il me reste 4 mois encore. Aaron s'attarda sur les formes de sa fiancée, relevant aussitôt les yeux. Lui, ça lui plaisait plutôt bien mais depuis que Maë avait essayé de rentrer dans sa robe préférée et qu'elle l'avait craquée, le sujet était sensible, voir même tabou.
-Ni penses même pas ! Répliqua la jeune femme.
Pour toute réponse, le nouveau PDG d'une maison de luxe adressa un sourire à sa belle avant de continuer sa plaidoirie.
-Premièrement cette excuse est minable, deuxièmement il s'appelle pas encore Enzo. Troisièmement Pierre-Antoine c'est très bien.-S'il te plaît tant que ça fait les démarches et change de prénom ! Mais tu ne vas pas appeler mon bébé comme ça sous prétexte que ta mère n'a pas pus t'appeler comme ça ! Ça faisait bien quatre semaines qu'il avait cette discussion et personne ne voulait laisser de terrain à l'autre. Aaron voulait faire honneur à sa mère qui avait toujours rêvé d'appeler son fils Pierre-Antoine et Maë voulait un prénom qu'elle qualifiait de "normal" et qui ne donnerait pas une tête de "victime" à son fils.
-Alors on fait quoi ? - On l'appelle Enzo Pierre-Antoine Dumas. Ta mère aura le droit de l'appeler Pierre-Antoine si ça peut lui faire plaisir.Aaron poussa un soupir. Maëlys avait toujours été têtue et la négociation faisait partie de ses qualités. C'était l'une des raisons pour laquelle il l'avait remarquée durant leurs études.
Vaincu, il leva les mains en signe de reddition avant d'embrasser la mère de son fils.
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-Aaron...Qu'est ce que... Pourquoi ...Pourquoi les pompiers étaient tous là ? Pourquoi Aaron était-il prostré là, sur le sol, les yeux rougis et baignés de larmes ?
-Où est Enzo ?La question n'est qu'à peine murmuré, comme si Maë ne voulait pas vraiment de réponse. Elle sent le regard des pompiers face à elle. Flavie s'approche de l'un d'eux et discute avec lui avant de revenir, les yeux brillants, vers la maman inquiète. Le pompier s'avance à son tour, le regard désolé, prêt à lui dire quelque chose qu'elle ne peut pas entendre.
-Mademoiselle Lefevre...Les mots se bousculent, elle ne comprend pas tout. Fils. Mort. MSN. Il n'y a pas d'explication, la mort subite du nourrisson porte bien son nom.
Et Aaron qui ne lui dit rien, qui continue de pleurer.
"
Sors avec tes soeurs, lui avait-il dit,
amuse-toi, profite de ton après-midi"Et maintenant ça. Sarah est là elle aussi, sa main se glisse dans la sienne et de toutes ses forces, sa cadette tente de la faire bouger, de l'emmener ailleurs.
Trop vite, trop tard, Maëlys comprend pourquoi. L'un des pompiers porte son fils, son bébé. Son petit corps lui semble encore plus minuscule.
Les mots lui manquent, la respiration aussi tout comme l'énergie. La maman qu'elle n'est plus se sent basculer tandis qu'Aaron se bouge enfin. Il la prend dans ses bras, lui demande pardon. Tout est de sa faute, il le sait.
Enzo Pierre-Antoine Dumas est mort.
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-Tu veux manger quelque chose ? Assisse sur le rocking chair blanc, Maë ne cesse de réfléchir. A quoi ? A qui ? A dire vrai, elle l'ignore totalement. Depuis Enzo, elle n'a plus goût à rien. Elle ne travaille plus, ne sort plus, ne mange quasiment plus. Sept mois se sont écoulés et demain, il aurait eu un an.
-Il faut que tu manges Maëlys et que tu prennes tes médicaments. Elle a du mal à savoir pourquoi Aaron est encore là. Elle a été un monstre avec lui, elle l'a accusé d'avoir tué leur bébé, de ne pas avoir su le sauver. Et Aaron est là, encore et toujours. Comme lorsqu'elle refusait ses avances, il ne lâche pas l'affaire. Cette pensée fait naitre chez la métisse, une bulle d'espoir qui éclate aussitôt.
Lui aussi, il partira.
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-Alors explique-moi ! Qu'est ce qu'on fout ici ? Qu'est ce qu'on fout ici, dans ce putain de nouvel appart' si tu ne peux plus supporter la situation ?! Va-t-en ! -C'est ce que tu veux ? Pour avoir le loisir de continuer à t'apitoyer sur ton sort ? Regardez, il tue notre enfant et ensuite il m'abandonne ! Je ne vais pas te donner ce putain de plaisir alors que j'ai tout fait pour toi, pour nous ! TOUT ! La gifle part aussi vite qu'un coup de feu tandis que les larmes se mettent à couler sur les joues de la jeune femme. Elle ne supporte pas d'entendre des paroles qui, au fond, sont sans aucun doute vrai.
-Tu crois que j'ai pas mal moi ? Tu crois que je ne me pose pas de question ? Tu crois être la seule à avoir perdu un bébé ? Questions purement rhétoriques. Il a raison, elle le sait, que rajouter de plus ?
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-Je pense que tu devrais saisir l'opportunité. C'est une occasion en or.
-Et toi et moi ?
-Je te bouffe la vie et si tu restes, tu m'en voudras.
-Ça ne répond pas à la question.
-T'as vraiment besoin de l'entendre ? -Oui. -Je pense qu'on devrait se séparer. Un petit sourire apparait sur le visage d'Aaron. Le premier depuis des mois. Et il n'a rien de joyeux.
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