Sujet: Vent méridionale sur Paris - (Rafantina) 10/2/2018, 15:11
Vent méridionale sur Paris ¡ Argh, Joder ! Neuf heures et demie et j’ai déjà la tête comme un ballon. Le concert des cliquetis de talons aiguilles des nanas à l’étage, est franchement loin d’avoir les vertus thérapeutiques d’une aspirine. Niveau décibels, un numéro de claquettes ou de flamenco à côté, c’est de la rigolade ! Enfin les pauvres, ce n’est pas de leur faute. Je suis sûre que si elles avaient le choix, elles préféreraient de loin porter une jolie et confortable paire de ballerines, plutôt que ces échasses s’apparentant à des instruments de tortures. Qu’est-ce qui les en empêche ? Ou devrais-je dire : qui les en empêche ? Eh bien, la puta a perros évidemment ! Déjà que si elles ont un faux cils de travers, elle les descend en flamme et les humilie publiquement. Je n’ose donc imaginer le sale quart d’heure qu’elles passeraient, si elle les voyait chaussant autre chose que des piques-chou de douze. Et encore douze, c’est le minimum syndical requis ici. Il n’est pas rare que l’on monte à quinze voire plus. Franchement, c’est ridicule. Certaines filles ont tellement de mal à marcher avec, qu’on dirait des drag queens un soir de pleine lune ayant fini leur revue. Moi ? Oh eh bien, je ne déroge pas à la règle. Ce n’est pas parce que je suis la potiche à l’accueil répondant au téléphone et au courrier, que je ne dois pas bien paraître pour autant. Au contraire, je serais même tentée de dire que je suis celle qui doit faire le meilleur effet et donner la meilleure impression.
Entant que réceptionniste, je suis de facto la première personne que les gens franchissant le seuil de locaux de Vogue entraperçoivent. Compte tenu que la première impression, à l’instar de la dernière, est décisive, je me dois donc d’être dans la mesure du possible toujours impeccable est tirée à quatre épingles. Si je ne le suis pas, l’image que les différents professionnels de la mode venant ici ont du magazine risque d’en pâtir. Alors, j’ai dû me plier au code vestimentaire en vigueur, et revêtir ces robes fourreau ainsi que ces jupes taille haute que je n’avais auparavant jamais porté. Tsss, non mais regardez-moi ça ! On est engoncée là-dedans comme ce n’est pas permis. Il n’y a aucune liberté de mouvement ni de notion de confort. Encore une invention de bonhomme ça. Parce que pour nous faire souffrir à ce point là, je ne vois qu’eux. Puis alors sincèrement, le prétexte du « Ah si, ça te fait une belle silhouette. », ça me fait doucement rigoler. Faut arrêter Messieurs. Vu l’ardeur et la vitesse à laquelle vous nous déshabillez, cela m’étonnerait que vous ayez le temps d’apprécier la façon dont une robe accuse et met en valeur nos formes. Enfin, « formes » … . C’est vite dit, vu que toutes les filles ici sont cadavériques et anorexiques au dernier degré. C’est peut-être pour ça d’ailleurs que j’ai eu le job. Oui, à mon grand désespoir je suis plate. A tout les niveau. Morphologique, mammaire et j’en passe !
Ah, ce que j’envie toutes ces femmes pulpeuses et plantureuses … ! Des fois je vous jure, j’ai envie de tout envoyer balader. De venir ici nippée d’un bon vieux jean, d’une paire de boots et d’un petit chemisier basique à souhait. Malheureusement, je ne peux pas. Le seul endroit où je peux parader sapée de la sorte, ce n’est pas difficile : c’est chez moi durant mon temps libre. Pourquoi m’interdis-je de le faire me direz-vous. Eh bien tout simplement parce que dans un pareil cas de figure, je serais virée dans l’heure. J’ai trop besoin de ce boulot. Ou plutôt du fric qu’il me permet de palper chaque mois, même si la paye n’est pas mirobolante. Je vous promets que dès que j’ai suffisamment économisé pour me payer mes cours de comédie, je me tire d’ici encore plus vite qu’un taulard en cavale ! Mais nous n’en sommes pas encore là, hélas. Vale chica, calme-toi et respire à fond. Il y a encore une montagne de travail qui m’attend pour aujourd’hui. Récapitulons. Appeler Gaëlle et lui dire que Mérédith ne veut pas de cette fille dont elle lui a parlé, pour la double page sur cette stupide Saint Valentin. Faire une demande à la préfecture pour la privatisation du Jardin du Luxembourg. Envoyer à Michaël les premiers clichés du shooting de Constance. Décliner l’invitation de Massimo. Accepter celle de Richard. Relancer Salma. Et enfin, ne pas oublier de dire au chauffeur de la puta de passer au pressing chercher ses affaires, afin que Adèle puisse les déposer chez elle.
Autrement dit, charmante journée en perspective … . Bon, vamos Valentina ! « Holà rayon de soleil ! ». Allons donc, ça faisait longtemps ! Ce ton de playboy libidineux m’avait presque manqué. Jérôme. Le chef du département publicitaire. Un très très très bel homme. Mais aussi un coureur de jupons invétéré. Dès qu’il voit une jolie femme passée, paf il se transforme en ouragan d’hormones en furies ! Allez interroger les filles de la rédaction là-haut. Je suis certaine que vous n’en trouverez pas une, ayant au minimum une fois céder face à son charme fou. A mon avis, je dois être la seule qu’il n’a pas encore réussi à mettre dans son lit. Avec la patronne, évidemment. Plus je résiste et lui tiens tête, plus il déploie monts et merveilles d’armes de séduction massives. Un petit jeu qui nous amuse tout deux, je pense. Néanmoins, je ne le rembarre pas avec virulence ni ne ferme définitivement la porte. On ne sait jamais comme on dit. Si un beau jour je n’ai plus rien à me mettre sous la dent, je serais sans doute bien contente de savoir qu’il est dans les starting blocks. Il est quelle heure là ? Dix heures moins le quart ! Eh bah bravo ! Je vois qu’on bosse comme des forças dans le secteur marketing … . Je me lève de mon siège et lui fais la bise, avant de lui rétorquer sur un ton taquin et avec des faux airs de diva :
« « Rayon de soleil » ? Sérieusement, c’est ton maximum ? Allons, un petit effort Jérôme. Tu m’as déjà habitué à beaucoup mieux. Oh, avant que je n’oublie. Tiens, c’est pour toi. Elle est arrivée par la poste ce matin. ». Sans plus attendre, je lui tends une grande enveloppe kraft libellée à son nom. Jérôme arque un sourcil, prend l’enveloppe et me demande ce que c’est. Une pizza … . Bah non estúpido ! Tu vois bien que c’est une enveloppe. Le cachet de la poste indique qu’elle a été affranchie à Pau. Une gamine qui lui écrit en affirmant qu’il est son père ? Vu sa vie de Casanova, c’est loin d’être ridicule ou impossible. Un oubli de pilule ou une capote percée est si vite arrivé … . Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que j’ai des rayons X à la place des yeux, qui me permettraient de lire à travers le papier ? Plutôt que de lui dire le fond de ma pensée et d’être blessante, je me contente de jouer les gourdes écervelées en haussant les épaules. Avant de prendre congé de moi en me souhaitant bon courage, Jérôme m’invite à déjeuner avec lui, Marielle et Loïc ce midi. Guère partante, je lui réponds que j’ai beaucoup de travail mais que j’essayerais quoi qu’il en soit de passer pour le dessert et le café. Ah, enfin seule ! Ou presque. Le téléphone n’a de cesse de sonner. Whoo, mais qu’est-ce qu’il ont tous aujourd’hui ?! « Siège social de Vogue ? » par ci, « Siège social de Vogue ? » par là. Cela n’arrête pas. Un petit moment de répit me permet d’enfin faire les tâches que je dois à tout prix achever aujourd’hui. Je dis bien petit, car un visiteur quelque peu paumé et regardant partout autour de lui, arrive dans les locaux. Levant le nez de mon écran d’ordinateur, je déclame en adoptant mon ton quelque peu sucré de secrétaire avenante : « Bonjour. Est-ce que je peux vous aider ? Vous aviez rendez-vous peut-être ? ». Un mec dans mes âges. Grand, brun, les yeux clairs, la petite barbe de trois jours qui va bien. Plutôt pas mal au demeurant. Il a le type méridionale du sud de la France. Peut-être même qu’il est d’origine étrangère. Italien. Ou espagnol comme moi, ça serait possible. En tout cas, je ne crois pas l’avoir déjà vu ici. A mon avis, il ne vient pas pour un entretien d’embauche avec la DRH. Un représentant d’une grande marque ? Un associer ? Je vais rapidement être fixée, puisqu’il s’approche.