La librairie de la place Clichy

Il n'y a rien de mieux que la librairie de la place Clichy pour occuper ses journées les plus ennuyeuses. Et aujourd’hui était une journée ennuyeuse. Cela fait une dizaine de jours que je suis sorti de taule et, après avoir réglé tous les papiers nécessaires, le quotidien devient vite très mort quand tout le monde travail et que tu dois réapprendre à vivre après trois ans enfermés dans dix mètres carrés à côtoyer les mêmes mecs un peu lourds. J'enfile mes baskets et sors de l'appartement de mes parents. Il faudrait peut-être que j'arrête, à presque vingt-six ans, de vivre chez mes parents, mais sans boulot, c'est compliqué de trouver quelque chose de potable sur la capitale. C'est exactement pour ce genre de pensées qui me prennent la tête que je file aussi chez un des plus grands libraires de Paris. On est toujours sûr d'y trouver un bouquin qui nous convient. Justement, j'avais besoin de quelques nouveaux romans pour disperser mes idées noires.

Quand je passe la porte, le carillon retentit et me procure une certaine satisfaction, un sentiment de bien-être ou du moins, un souvenir de bien-être. Je regarde autour de moi et m'empare de l'odeur qui règne dans la librairie. Cependant, je ne m'arrête pas avant d'avoir devant moi les romans classiques. Même si j'en ai lu la plus part, il y en a toujours un dont je n'ai pas entendu parler ou que je n'ai pas lu. Je parcours des yeux le grand mur où les romans sont classés par auteur. Je passe vite sur Baudelaire, Dumas et Flaubert. Je m'arrête sur Utopie de Thomas More. Si je ne l'ai jamais lu en revanche, j'en ai déjà entendu parler. J'attrape le livre et le retourne pour le lire le résumé. Comme d'habitude, les dix lignes ne me suffisent pas et j'ouvre la dernière page. Rituel bizarre, mais je déteste garder le suspens d'un roman et c'est sûrement pour ça que je passe mon tour pour le genre policier ou polar.

« Excusez-moi, je n’ai pas pu m’empêcher de voir que vous étiez en train de lire la fin de ce roman, avez-vous une raison particulière ? » J'ai du mal à croire qu'il s'adresse à moi. Sans avoir eu le temps de lire la page, je détourne le regard de la dernière double page pour rencontrer ses yeux intrigués. « En réalité, je n'ai pas eu le temps de la lire... » Je ferme le bouquin et croise les bras face à l'inconnu. Je commence à monter sur mes grands chevaux, qu'est-ce que ça peut bien lui foutre que je lise la dernière page du roman ? En scrutant son visage presque rieur, je tente de me détendre un peu en me disant qu'il est juste un peu trop curieux. « Je n'aime pas garder trop de suspens. Je préfère connaître la fin avant de me lancer dans l'aventure, juste pour être sûr que ça me plaise. » Je tente un sourire vers l'homme sans poser de question en retour.