Je suis assis dans la salle d'enregistrement. Guitare sur les jambes, je l'accorde avec dextérité. Les yeux fermés afin de mieux pouvoir me concentrer sur le son des cordes, je tournes les boutons jusqu'à être pleinement satisfait. Ce n'est qu'après avoir joué le début de Wonderwall d'Oasis que je m'autorise à rouvrir les yeux. Maintenant, il ne me reste plus qu'à attendre Raphaël, mon binôme pour le prochain exercice de jam. Je ne le connais que de vu, nous nous sommes peut-être déjà brièvement échangé un ou deux mot lors de la première semaine de notre cursus commun, mais ça s'arrête là. Il n'est jamais venu me voir et je ne lui en veux absolument pas. Je ferais sans doute pareil à sa place. Après un très léger soupire, je me passe une main sur le visage puis me penche en avant et tourne les pages de mon carnet de notes. J'ai déjà commencé à travailler sur une éventuelle composition qu'on pourrait présenter lui et moi. Évidement, ce n'est que le début et nous mettrons tout en ordre à deux. A deux.

A deux. Ce n'est pas la première fois que je dois travailler en groupe depuis que je ne parle plus. Ça se passe bien la plupart du temps, mais la dernière fois j'ai fait équipe avec une fille qui n'a pas cessé de me rabaisser, qui me jugeait et qui était très visiblement énervé par la moindre des choses. Nous avons finalement décidé de présenter chacun notre truc ce qui n'a pas plus au professeur. Fort heureusement, il était de mon côté sur ce coup et m'a tout de même gracié avec la moyenne. Lorraine, elle, s'est rétamé comme pas possible. Mais ce n'était pas de ma faute.

J'espère qu'avec Raphaël ça va être chose. Je ne sais même pas s'il est courant que je suis aphone ? Enfin, il a sûrement dut en entendre parlé, tant cette nouvelle à fait le tour de l'école. Et puis, depuis 4 ans que je suis ici, ce n'est pas une nouveauté. Peut-être est-ce pour ça qu'il n'est jamais venu vers moi ? Parce qu'il a peur de ne pas savoir comment réagir face à moi ? Je vais devoir lui faire comprendre qu'entre nous c'est sans doute moi qui ait le plus peur. Je crains énormément la réaction des autres qui sont bien trop souvent excessives. Mais nous auront nos instruments, ce sera plus facile pour communiquer, non ? Ça nous détendra sûrement tous les deux.

Je souffle doucement en baissant mes yeux sur le manche de ma guitare. Avec une certaine douceur, je met mes doigts en place et frappe légèrement les cordes. Un petit sourire s'affiche sur mes lèvres. C'est bon ça. C'est ce qu'il y a de plus de agréable, je pense bien. Alors que je commence à enchaîner quelques accords pour m'échauffer un peu les doigts, je me dit qu'à choisir, je préfère être muet plutôt que d'être sourd.

Les yeux fermés, dès lors que mes doigts sont venus frappés les cordes, je fais abstraction de la réalité. La mélodie résonne et me comble de bonheur. Pareil à une caresse ou une étreinte quand on va mal, jouer de la guitare, enchaîner les accords, me fait du bien. C'est cet instrument qui m'a aidé à surmonter ma dépression post opération. Je lui en serais éternellement redevable, je crois. Enfin.

Plongé dans mon interprétation, je ne remarque que la porte de la salle s'est ouverte que lorsqu'une voix masculine s'adresse à moi. Je bloque les cordes avec ma main gauche et me redresse, me tournant sur mon siège. Mon regard tombe sur ce fameux Raphaël. Et quelle n'est pas ma surprise de découvrir qu'il s'agit du même blond qui était dans l'ascenseur de la tour Eiffel le jour de la forte chute de neige.

Je lui souris et hoche la tête de manière enjoué lorsqu'il me demande confirmation de mon identité. Il se présente ensuite comme étant Raphaël. J'hoche encore une fois la tête et lui sers la main lorsqu'il me la tend. Je lui indique ensuite une chaise que j'ai préparé pour lui, lui faisant comprendre de s'installer. Pendant qu'il s'installe, j'attrape mon bloc note et mon stylo et y griffonne rapidement quelques mots avant de le tendre à Raphaël lorsqu'il se redresse.

 « Je suppose que Mr. Baudelaire t'as déjà prévenu mais je ne peux pas parler » avais-je écris. Autant le lui faire comprendre directement.  « ça ne va pas être facile mais je fais des efforts, promis » je l'observe tandis qu'il lit et essaie de savoir ce qu'il pense de cette situation  « J'entends très bien par contre, donc tu peux sans problème me parler normalement » Je me redresse lorsqu'il relève la tête et l'interroge du regard en arquant un sourcil. Avait-il compris ? Que pense-t-il de cette situation ? Je tente d'en savoir plus en l'observant d'un peu plus près et en attendant qu'il réagisse.

Il rigole. Raphaël rigole en lisant les mots sur mon carnet. Je me mord directement la lèvre inférieure, sentant la rougeur prendre place sur mes joues et la gêne prendre plus d'ampleur en moi. Il se moque de moi, non ? Si, sûrement. Je dévie le regard un instant et prends une profonde inspiration pour reprendre le contrôle sur ma respiration. Je ne dois pas perdre mon sang froid. Pas maintenant. Je pourrais partir, certes, mais je le regretterais. Je sais que Raphaël est considéré comme l'un des meilleurs élève de l'école. Il a étudié à Brighton puis à Londres et maintenant ici. Il ne peut qu'être extrêmement doué. Peut-être est-ce pour ça que je me sens un peu mal à l'aise ? Peut-être m'intimide-t-il ? Je n'en sais rien.

Au final, il relève son visage vers moi et je l'interroge du regard, attendant sa réponse. Il fini par m'avouer ne pas savoir pourquoi Mr. Baudelaire à juger bon de le prévenir. Je fronce légèrement les sourcils et incline la tête sur le côté. Est-il sérieux ? C'est pourtant évident pourquoi il l'a prévenu avant, non ? Enfin. Raphaël fini par me redonner mon carnet après l'avoir fermé et, souriant, reprends la parole. Sa voix est douce et enjoué, non dénué d'une touche de bonne humeur. Il me dit tout d'abord que c'est à lui de s'adapter et que pour ça je devrais cessé d'écrire. Je lance un coup d’œil à mon carnet que je tiens en mains puis reporte mon attention sur le blond. Il reprends que je ne suis que muet et non débile, qu'il me considère comme chaque autre élève ici.

Ses paroles m'étonnent sincèrement. Mais dans le bon sens du terme. Je sens mon cœur s'accélérer un peu. J'aimerais tellement pouvoir lui dire à quel point ça me fait plaisir ce qu'il me dit là. A défaut de pouvoir lui parler, je le lui fait comprendre avec un large sourire. J'hoche ensuite la tête lorsqu'il me dit de lui faire entendre ce que j'ai travaillé. Je désigne le pupitre et tourne la partition vers lui afin qu'il puisse lire à son tour. Après un dernier coup d’œil vers mon binôme, je place mes doigts sur les touches de la guitare et commence à jouer.

J'enchaîne les accords avec naturel et sans trop de problème. Je fini tout de même par me tromper une ou deux fois mais réussi à sauver le tout en essayant de faire comme si de rien n'étais. Je suis pourtant persuadé que Raphaël se doute que je me suis trompé. Lui non plus n'est pas débile et doit sans doute avoir l'oreille pour entendre les quelques fautes. Avec un petit soupire, je cesse finalement le jeu et porte mon attention sur Raphaël. Les sourcils arqué je le regarde en mode 'alors ? T'en penses quoi ?'. En même temps je me dis que je devrais lui montrer quelques signes de base pour qu'on puisse mieux encore mieux communiquer.

La passion peut nous unir comme elle peut nous diviser. La passion est une chose merveilleuse comme une chose horrible. La passion existe pourtant et malgré tout, même si on le voudrait, on ne pourrait pas s'en défaire. Ma passion première a été le chant. Et même si je ne pourrais plus jamais chanter je sais que je pourrais encore jouer. Le piano mais surtout la guitare. Mes deux autres passions et celles-ci, je ferais tout pour que rien ni personne ne me les prennent. Si je perds l'utilisation de mes mains, je pense sincèrement que la vie ne vaut plus le coup d'être vécue. Je cesserais de vivre, tout simplement.

Et lorsque je joue, c'est avec passion. Comme cette fois-ci. Je fais des fautes, sans doute parce que je suis nerveux de jouer devant Raphaël. Pourtant, ce n'est pas normal, ça ? Je veux dire, j'ai déjà joué devant une grande assemblée à plus d'une reprise. Pourquoi est-ce que je suis tellement nerveux face à Raphaël ? Je ne saurais le dire. Dans tous les cas, je fini tout de même par m'arrêter. Tendu, j'attends son verdict. Lorsqu'il prends la parole, c'est pour me demander si j'appelle ça une ébauche. Je le regarde, l'interroge silencieusement, ne sachant pas trop où il veut en venir. Veut-il dire que c'est bon ? Ou que c'est nul ? Il fini par me dire que je devrais composer plus souvent, qu'un dénommé Maël serait dingue. Je le regarde et hoche la tête lorsqu'il me dit qu'il va me montrer ce que lui-même a bossé. Je me recule et le laisse donc jouer, l'écoutant avec une attention toute particulière. Il joue bien, son doigté est excellent, très précis. Les accords sont harmonieux, il les a bien choisi. Je souris doucement en remarquant que lui-même est réellement passionné par ce qu'il fait là.

Lorsqu'il finit, je lève mon pouce pour signifier que c’était vraiment bon et que j'ai beaucoup aimé, avant de lever mon index pour montrer qu'il y aurait tout de même quelques changement à faire. J'attrape la partition du jeune homme et la place devant moi avant de reprendre mon stylo. Je réfléchis rapidement puis barre une ou deux notes et les remplace par d'autre. J'en entoure d'autre, puis lance un coup d’œil à ma propre partition et fronce les sourcils.

Je l'attrape puis regarde Raphaël pour voir si j'ai son attention. J'entoure ensuite deux parties, l'une sur ma compo l'une sur la sienne et essaie de lui faire comprendre que j'aimerais mettre ces deux parties ensemble. Ne sachant pas trop s'il a comprit j'attrape une feuille vierge et commence à écrire les notes que j'ai choisi l'une à la suite de l'autre. Quelques temps plus tard, je lui tends la feuille et l'observe avec une certaine intensité, voulant ainsi lui signifier que j'aimerais qu'on joue la chanson comme ça, comme je viens de l'écrire.

première vu, Raphaël ne semble pas totalement convaincu par mon idée. Mais je ne fais rien pour tenter de le convaincre encore plus. Il ne comprendra pas. Donc je lui propose tout simplement de jouer les deux parties ensemble. Si on est bien accordés l'un a l'autre, je suis sûr que ça peu être joli. Je lui laisse le temps dont il a besoin pour regarder la nouvelle partition  avant de me redresser lorsqu'il me fait signe d'être près. J'hoche la tête à son 'bien' et pose mon regard sur la feuille. Je lance un dernier coup d'oeil à Raphaël attendant son signal de départ. Et lorsque celui-ci arrive, je commence à jouer.

Le début se déroule plutôt bien. Nous sommes tous les deux bien dans le rythme les premiers accord, mais après Raphaël perds le fil. Je ne lui en veux aucunement, c'est ma partition, le bout de ma compo que nous sommes entrain de jouer. C'est la première fois qu'il la joue et ce n'est pas facile je pense. Je continu dans le bon rythme, espérant que Raphaël réussisse à s'accorder à nouveau sur moi, mais fini par m'arrêter de jouer. J'observe mon binôme  et attend qu'il en ait fait de même pour capter son attention. Une fois que j'ai croisé son regard, je lui souris doucement mais ne fait rien. En moi, pourtant, je chercher activement une solution comment lui expliquer la faute qu'il ait faite mais surtout comment la corriger. Et ce sans le frustrer.

Je soupire vivement et fronce les sourcils en déviant le regard, énervé. Mais énervé contre moi-même. Au final c'est moi qui suis le plus frustré. Je pourrais tellement bien le lui expliquer si j'avais l'usage de la parole, je pourrais lui faire comprendre les petits détails et tout ce qui s'en suit. Mais là, non. Non je ne peux rien faire et c'est juste horrible. Je secoue la tête en me passant une main dans les cheveux et me calme un peu. Je fini par ressortir mon carnet. Raphaël n'aime pas que j'écrive, il me l'a fait comprendre dès le début, mais à quoi bon s'évertuer à ne pas griffonner des mots dessus si c'est pour ne pas me faire comprendre ?

 «Désolé, ne pense surtout pas que je sois énervé contre toi hein  » écrivais-je  « Je m'énerve moi-même dans ces conditions, quand je ne sais pas comment expliquer quelque chose. Donc je pense que l'écrit est quand même la meilleure des solutions » je lève mon regard sur Raphaël et lui montre déjà ce que j'ai écris là. Je le laisse lire, avant de le reprendre en main  « Ce que je veux dire, donc, c'est que tu es trop rapide. Le rythme est beaucoup plus lent dans cette partie. Ce n'est pas très grave et ça rends vachement bien aussi quand c'est plus rapide … mais faut qu'on se mette d'accord parce que c'est moche quand on on joue ensemble chacun un rythme différent » je pince les lèvres, grimace un peu  «On recommence ? Ou tu as une autre idée ?» je fini par lui tendre le carnet et, déviant le regard, attends une réaction de sa part.