Sujet: Tell me lies. Tell me sweet little lies - (Zanan) 8/2/2018, 16:22
Tell me lies. Tell me sweet little lies. « Encore une fois. Redis-moi pourquoi il faut à tout prix donner cette interview ? ». Question que je pose inlassablement à Julien, tandis que je tente pour la énième fois de me maquiller dans sa salle de bain. Ou plutôt de trouver un juste équilibre entre la nonne et la putain. Appuyé contre le montant de la porte les bras croisés, mon grand frère répète inlassablement le même discours avec un calme olympien. Il sait comment je fonctionne. Il sait que si je rechigne à faire quelque chose, je dois entendre encore et encore un argumentaire, jusqu’à ce que je me convainque que je vais le faire. Toujours pareil. Pour Ronan. Pour apporter encore plus de crédibilité, à notre alibi de joli petit couple d’amoureux bien sous tout rapports, et baignant dans une parfaite romance. Je n’aime pas ça. Pour être tout à fait exacte, c’est surtout la façon dont s’est bâtie ce simulacre de liaison que je désapprouve. Si j’accepte de bonne grâce d’y prendre part, c’est uniquement parce que Ronan n’est pas contre cette idée pour l’instant. Nous ne sommes que deux marionnettes dont mon frère et son coach tirent les ficelles. Je sais bien que c’est important, et que l’univers du ballon rond n’est pas encore tout à fait prêt à faire la part belle aux homosexuels. L’ouverture d’esprit et le QI des supporteurs ainsi que de certains joueurs, se situent à peu près entre celui du chimpanzé et du bonobo.
Si Ronan devient le premier joueur à faire publiquement son coming out, je n’ose imaginer la pluie de critiques et de commentaires nauséabonds qui va s’abattre sur lui. Moi je n’ai strictement aucun problème avec ça. A l’image de mon sport, je suis quelqu’un de très gay friendly. On ne compte plus le nombre de joueuses étant sorties du placard. Amélie Mauresmo, Martina Navratilova, Billie Jean King, Sam Stosur, Casey Dellacqua, Francesca Schiavone, Svetlana Kuznetsova, Carla Suarez Navarro … . Je m’arrête là, sinon on y est encore demain. Bizarrement pour les hommes en revanche, c’est l’omerta comme dans le milieu du football. Personnellement, j’ai du mal à concevoir le fait que l’on puisse établir des performances dans sa discipline de prédilection, tout en se mentant à soi-même ou en étant en proie à des conflits intérieur. En ce qui concerne Ronan, c’est différent. Il doit conjuguer avec tout un tas de facteurs, qui rendent la situation quelque peu délicate. Dans un sport très machiste et qui élève presque la virilité au rang de valeur, j’imagine que cela ne doit pas être simple de trouver sa place lorsque vous ne remplissez pas les critères du mâle alpha. D’autant plus qu’avec la peopolisation des joueurs de nos jours, la moindre petite parcelle de leur vie est décortiquée et passée à la loupe. Leurs différentes conquêtes s’affichent à la une de tout les tabloïds.
Le fait que Ronan soit le seul que l’on n’ait pas encore vu au bras d’un mannequin ou d’une actrice, commence à faire jaser et à alimenter des rumeurs dont se gosse le tout Paris. Il a sans doute peur des répercutions qui pourraient y avoir, si son secret venait à être découvert. Ce que je peux tout à fait comprendre. Le regard ainsi que la réaction du public et de ses coéquipiers envers lui risquent de changer du tout au tout. Certains se ficheront royalement de savoir qu’il aime les hommes, et retiendront uniquement ses qualités entant que joueur de football. D’autres, qui l’auront pourtant tant adulé, ne retiendront que cela et le descendront en flamme. La première fois que je l’ai rencontré lorsque Julien m’a présenté à tout l’équipe, j’avoue n’y avoir vu que du feu. A ceci près que j’avais quand même remarqué que ses sourcils étaient encore mieux épilés que les miens. Je me suis dit : « Tiens ? Voilà qui n’est pas commun. ». Toutefois, je n’y ai guère prêté plus attention. A vrai dire, je n’avais d’yeux que pour Nathanaël. C’est quelques semaines plus tard, lors d’une players party que le doute pour moi ne fut plus permis. Après avoir malencontreusement renversé son verre sur moi, il s’est empressé tout confus de nettoyer les dégâts. Seulement, au lieu de reluquer mon décolleté ou d’en profiter pour effleurer furtivement mes seins, il a meublé ce moment de gêne en disant : « C’est du cachemire ? ».
Alors là d’un coup, tout s’est éclairé. Un hétéro préférant vanté les mérites de mon pull plutôt que ceux de ma poitrine, je n’en ai pour l’heure encore jamais rencontré. Histoire d’en être totalement sûre, j’ai quand même tenu à questionner mon frère à ce sujet. A peine ai-je eu le temps de dire trois mots, qu’il s’est mis à perdre les pédales et à paniquer. « Hein ?! Quoi ! Mais comment tu le sais ? Qui d’autre est au courant ? ». Suite à cela, mon génie de frère et son non moins génie de coach, ont eu l’idée lumineuse de nous faire passer pour un couple. En gros, je sers de paravent et de chandelier pour éloigner ainsi que pour faire taire les rumeurs et les mauvaises langues. Plus de crédibilité, il est drôle lui ! Cela fait six mois que l’on multiplie les apparitions publiques en feignant des yeux d’énamourés, et en se roulant des patins à qui mieux-mieux pour que les paparazzis aient ce qu’ils veulent. La dernière en date ? La cérémonie pour le Ballon d’Or, je crois. Qu’est-ce qu’il lui faut de plus, franchement ?! Qu’on s’envoie en l’air devant témoin ? Alors là, non merci ça sera sans moi. Et sans Ronan aussi, c’est une certitude. Décrétant que je n’arriverais guère à faire mieux niveau make-up, je passe devant mon frère et pique un de ces blazers dans son armoire. Une petite touche pour accentuer le côté masculin-féminin. Ou alors, pour me donner un côté écolière sage en uniforme. Au choix. Alors que je m’apprêtais à partir, Julien voulu venir avec moi et en profita au passage pour faire une réflexion sur ma tenue. Sortant de mes gonds, je lui fais volt-face et déclare passablement énervée :
« Ok, stop ! Ca suffit maintenant. Arrête ! Arrête d’interférer et de vouloir sans cesse mettre ton grain de sel dans cette histoire. Tu nous laisses gérer la crise comme on l’entend. Et quand je dis nous, je veux bien sûr dire Ronan. C’est quand même lui le principal intéressé dans l’affaire. La moindre des choses, ça serait de le laisser faire ce qu’il veut. Alors t’es gentil, mais maintenant t’arrêtes ton numéro d’entremetteur et tu nous fais un petit peu confiance. Tu lui fais confiance. Sinon … sinon je laisse tout en plan, et les rumeurs que tu crains tant reviendront au triple galop et enfleront comme jamais. Alors, tu décides quoi ? ». Le regard réprobateur de Julien plane sur moi quelques secondes suite à cet ultimatum. Finalement, il baisse les yeux et produit un petit son avec sa bouche. Ce fameux petit son dont il m’honore à chaque fois qu’il sait que j’ai raison, mais qu’il est trop fier pour l’admettre. Pas d’objection … ? C’est bien ce que je pensais. Je quitte l’appartement de mon frère en claquant violemment la porte d’entrée derrière moi sur le coup de la colère, puis dévale les escaliers. Trois sifflements de mecs en chien, un début d’ampoule et un vol plané évité de justesse à cause d’une plaque d’égout retorse plus tard, j’arrive enfin au lieu du rendez-vous pour cette interview ainsi que cette séance photo, organisées par je ne sais plus quel magazine. Le Stade de France. Original n’est-ce pas … ?
Je vois d’ici le tableau. La star du ballon rond et sa groupie complètement chou craque love. Ca va être beau ! Le photographe est entrain de briefer son équipe à voix tellement haute, que cela suffirait à réveiller les morts. Ronan est déjà là. Une expression de soulagement se lit sur son visage lorsqu’il me voit arriver. Me tenant à côté de lui, je dis à voix basse afin de ne pas attirer l’attention du photographe et repousser au maximum l’échéance que je redoute comme pas deux : « Salut. Pardon je sais, je suis terriblement en retard. Si tu veux savoir pourquoi, vois ça avec ton coéquipier qui me fait aussi accessoirement office de frère. ». Au ton que j’emploie, Ronan doit sans doute avoir deviné que nous avons eu quelques petites frictions. Le photographe, qui de toute évidence doit être sous speed vu son énergie et ses nombreux tics, continue de distiller son laïus et son discours pompeux aux machinistes et techniciens l’entourant. Rohlala, je ne la sens pas du tout cette interview. Oui, j’ai un très mauvais pressentiment. Incapable de masquer ma nervosité, je me ronge l’ongle de l’auriculaire tout en remuant frénétiquement mon genou. Finissant par croiser le regard somme toute interrogateur de Ronan, je lui avoue toujours à demi-mot : « Désolée. Je ne sais pas ce que j’ai, mais je suis très nerveuse. ». Et encore, c’est un euphémisme ! En réalité, si je sais pourquoi. D’abord, parce que je me suis embrouillée avec Julien et que j’ai horreur de cela. Mais ce n’est pas le plus grave. Je sais qu’en rentrant ce soir toute piteuse, et en me confondant en excuses, il me pardonnera en me prenant dans ses bras avec toute la tendresse d’un frère. Ce que j’appréhende, c’est surtout l’exercice qui nous attend d’ici peu. C’est loin d’être la première fois que Ronan et moi allons jouer la comédie. Le hic, c’est que jamais auparavant, nous n’avons été amenés à parler ouvertement aux médias l’un de l’autre. Je l’apprécie énormément, et il pourrait sans conteste devenir mon meilleur ami, mais en vérité je ne sais quasiment rien sur lui. Comment vais-je faire ? Qui suis-je censée répondre, si l’on me pose des questions pointues et personnelles à son sujet ?
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