UNE ÉTERNITÉ, Dix ans. Il avait pris dix ans. Servane était resté figée pendant de longues minutes quand le verdict était tombé. Elle était tout juste majeure et elle apprenait qu'elle ne reverrait plus Andréas avant d'avoir presque atteint la trentaine. Son grand frère toujours trop collant et trop protecteur. Mais ce grand frère qui avait toujours été son sauveur. La preuve en était encore aujourd'hui parce que s'il plongeait, c'était par sa faute. Elle savait qu'il allait s'évertuer à lui dire le contraire parce qu'il était comme ça. Mais rien, ni personne ne pourrait lui faire sortir cette idée de la tête. Si elle ne s'était pas braquée, si elle l'avait suivi pour lui parler quand il avait pris le large... Avec des si, on referait le monde. Mais dans ce cas uniquement, elle n'aurait pas eu à rentrer seule, à affronter les rues mal famées et plongées dans le noir, seule encore une fois. Elle n'aurait pas croisé ces types louches qui devaient arpenter ces recoins sombres toutes les nuits afin d'y trouver une âme en peine à persécuter. Sauf que Servane avait tout fait de travers, à croire que c'était une habitude chez elle. Et on l'avait abordé, on s'était un peu trop approché d'elle et n'aimant pas du tout ce qui était en train de se passer, elle avait paniqué et crié. Par un miracle inconnu, Andréas avait rappliqué et tout avait dégénéré. Fin de l'histoire. Un mort. Case prison. [...] Trois années avaient passé depuis cette fameuse nuit que Servane s'efforçait d'oublier. Parfois, elle y parvenait quelques temps mais le souvenir ignoble revenait la frapper en pleine face par longtemps après. Elle se le rappelait souvent quand elle voyait la chambre de son frère vide. Il lui était arrivé bien des fois d'en prendre possession et d'y dormir plusieurs nuits, sous le regard désapprobateur de ses parents. La demoiselle s'en fichait pas mal, suivre les règles n'avait jamais été dans ses gênes. Sans son frère, elle ne sait pas ce qu'il lui serait arrivé, ni même si elle serait encore là aujourd'hui. Servane n'en était plus à une bêtise près. Elle avait été rendre visite à Andréas en prison, des tas de fois, même contre l'avis des parents. Elle ne comprenait pas que ceux-ci puissent lui en vouloir autant. C'était un accident, leurs fils n'étaient responsable de rien du tout. Ces visites avaient été dures pour la jeune Servane. Le milieu carcéral n'avait vraiment rien d'un bout de paradis. Chaque fois, elle avait eu la boule au ventre mais elle n'avait pensé qu'à lui. Il avait bien besoin d'une présence familière, aimante, et extérieure pour arriver à se battre. Et sa petite soeur avait dû être sa seule lueur d'espoir dans ce trou noir. [...] Aujourd'hui, la brunette avait vingt-et-un ans. Quelques années avaient passé, trois pour être précis et la bonne conduite d'Andréas lui avait permis d'obtenir une liberté conditionnelle. L'acrobate équestre qu'elle était n'en avait pas dormi de la nuit, bien trop impatiente à l'idée de retrouver son frère le lendemain. De le serrer dans ses bras en dehors de ses murs qui semblaient vouloir vous aspirer votre dernier souffle de vie. Devant la prison, Servane devait bien y être une bonne demie-heure à l'avance. Elle était incapable de faire autre chose. Toutes ses pensées étaient obnubilées par Andréas. Elle se trouvait sur le trottoir en face, n'aimant pas trop s'approcher de ce lieu sombre. Mais elle avait le regard rivé sur l'entrée, par peur de le rater. Elle avait tellement attendu ce moment, elle en avait tellement rêvé. Il était arrivé.
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Sujet: Re: une éternité, andréas. 20/11/2016, 23:51
Servane & Andréas
Une éternité
Au début, chaque nuit, je me réveillais par le hurlement de Servane. Pure imagination de mon subconscient qui me paraissait pourtant si réel. Je n'osais plus fermer l’œil, restant simplement allongé sur un matelas si fin que les ressorts métalliques chatouillaient désagréablement mes vertèbres. Je me rassurais en me disant que j'étais arrivé à temps. Mais si je n'avais pas été là ? Comme je ne suis pas là et comme je ne le serais pas pendant un long moment. C'est long une décennie. Je devenais vite héritable à cause du manque de sommeil et j'ai été impliqué dès les premiers mois dans des débordements. La seule chose qui m’apaisait était les visites de ma sœur, de ma petite sœur que j'ai laissée dans ce monde de brut, seule. La situation était tout de même assez ironique. J'étais en taule pour l'avoir sauvée, mais je n'étais plus là pour le faire au cas où elle aurait d'autres problèmes. Et ce sentiment d'impuissance s'accumulait à ma colère envers le monde et la fatigue qui n'arrangeait pas mon caractère. J'étais frustré, bloqué entre quatre murs qui me rendaient fou. Et quand je voyais la chevelure brune si familière dans la salle des visites, toutes mes tensions disparaissaient. Mais pas cette culpabilité.
Après quelques rendez-vous chez mon avocate, qui en dehors de ce contexte aurait bien été ma came, elle m'a bien fait comprendre que si je me tenais tranquille, ma peine se verrait diminuer. Le problème, c'est que les cauchemars ne disparaissaient pas et la frustration non plus, me rendant un peu plus fou chaque jour. Jusqu'au jour où j'ai pu avoir de quoi écrire, déverser mes pensées sur du papier, le sortir de mon crâne. L'écriture est une thérapie plutôt efficace quand on prend le risque de mettre des mots sur ce qui se passe en nous. Un stylo noir et un carnet à la couverture en cuir m'ont aidé à me sentir mieux et à apaiser, presque au même titre que Servane, mes tensions. J'essayais de ne plus me mêler à la foule, à esquiver les pires fouteurs de merde. J'étais poli, toujours un peu rebelle, mais je tentais de suivre les ordres. Pourtant, suivre les ordres n'a jamais été dans mes cordes. Je me suis forgé moi-même, sans l'aide de quiconque, pas même de mes chers parents.
Servane venait toujours seule. Les premiers mois, j'étais tellement heureux de la voir passer la porte en un seul morceau que j'ignorais tout le reste. Cependant, un jour, j'ai été un peu trop curieux. Non pas que j'aurais aimé qu'ils viennent, mon père et ma mère, mais un peu quand même. Juste pour me prouver qu'ils m'aimaient, mais non. Selon Servane, ils m'en voulaient trop d'être parti en prison. Comprennent-ils que si je n'avais pas été là, c'est leur fille qui aurait peut-être disparu de la circulation ? On allait bien s'marrer quand je rentrerais à la maison, dans dix ans, sans les avoir vus.
Presque trois ans jour pour jour et je signe ma sortie conditionnelle. J'ai toujours ce que je veux, il ne faut jamais sous-estimer un Guérin. Il arrive à ses fins, toujours. J'emballe soigneusement le seul effet personnel que j'ai, c'est-à-dire, mon carnet de notes. Je remets les vieilles fringues avec lesquelles j'étais arrivé, un jean noir, un t-shirt blanc et une veste à capuche noire. Un agent m'accompagne jusqu'à la sortie « Alors ça y est Guérin ? On sort ? » « Pour de bon, j'espère. » Je ne le regarde même pas bien que j’apprécie ce dernier. Il n'était pas trop chiant lors de l'extinction des feux. « Fais en sorte que ça n'arrive pas, tu vaux mieux que ça. » Qu'est-ce qu'il en savait ? Il m'explique que je n'ai qu'à longé le couloir entre les grillages et que la grille s'ouvrira quand je serais au bout. Je marche lentement, savourant les quelques bouffées d'air. L'air pollué de Paris, mais l'air de liberté. Au loin, j’aperçois indistinctement une silhouette que je pense reconnaître. J'étire un semblant de sourire sur le coin de mes lèvres et accélère un peu la cadence. Bien évidemment que ma sœur serait au rendez-vous de ma sortie. Je cours presque jusqu'à elle et sans dire un mot, je la prends dans mes bras.
Lef
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Sujet: Re: une éternité, andréas. 15/1/2017, 21:52
UNE ÉTERNITÉ, Enfin, les Guérin allaient pouvoir tirer un trait sur ces visites en terrain miné. Servane avait tellement hâte de reprendre ses gestes quotidiens en ayant son frère à ses côtés. Elle avait tant attendu ce moment, et elle avait eu si peur que ça ne dure trop longtemps. Mais Andréas avait rempli sa part du marché, il n'avait pas fait de vague. Du moins, pas assez pour qu'on lui refuse la liberté conditionnelle. Et c'était tant mieux. Parce que Servane ne savait pas si elle l'aurait supporté. Ses parents n'en avait eu que faire qu'aujourd'hui soit le jour de la libération de leur fils. Et ça avait agacé la jeune femme au plus haut point. Comment pouvait-on être aussi dénué de coeur ? Évidemment, avoir un fils qui a tué ne devait pas être évident à vivre tous les jours, mais il ne l'avait pas prémédité. C'était un accident, qui aurait pu arriver à n'importe qui. Et il l'avait fait dans l'unique but de protéger sa petite soeur. Celle-ci avait d'ailleurs beaucoup de mal à l'encaisser, encore aujourd'hui. Elle ne pouvait pas se sortir de l'esprit que si son frère avait plongé, c'était à cause de ses bêtises. Une fois de plus. Sans se préoccuper de l'avis de ses parents et sans même attendre un quelconque consentement de leur part, elle s'était rendue à la sortie de la prison. Une dernière fois. Et c'était sans doute pour cette raison qu'elle semblait aussi ravie d'y aller ce jour-là. Sur le trottoir d'en face, elle avait attendu impatiemment, en faisant les cent pas. Même les trois ans qu'elle avait passé à lui rendre visite dans ses murs lui semblaient bien peu à côté de l'attente qu'elle vivait actuellement. Et Andréas était apparu. Il était impossible à Servane de décrire le sentiment de bonheur qu'elle ressentait, de le voir dans ce contexte. Elle avait presque oublié qu'on pouvait apprécier la vue de ses proches autrement qu'à travers une vitre. La jeune femme ne pu s'empêcher de sourire et ce dernier risquait de rester scotché à son visage un bon moment. Elle vit son grand frère venir dans sa direction et elle se laissa tomber dans ses bras quand il fut à sa hauteur. Elle s'accrocha à lui comme s'il était son seul oxygène. Il lui avait tellement manqué. Ces étreintes lui avaient tellement manqué. « Pardon... » qu'elle lui souffla, alors qu'elle était encore serré tout contre lui. Elle avait besoin qu'il lui pardonne ces trois années d'enfer qu'elle n'avait pas su lui éviter. Ces interminables minutes de solitude loin de tous qu'elle lui avait infligé. Parce que c'était de sa faute, elle n'en démordrait pas, et elle s'en voulait infiniment. Andréas n'avait pas mérité ça.