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L'odeur du bois | Jonas

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MessageSujet: L'odeur du bois | Jonas L'odeur du bois | Jonas Empty31/10/2016, 02:53



 

L'odeur du bois

Le bois a cette douceur, cette odeur incomparable.
Il garde la chaleur, garde les parfums, garde les souvenirs. J'y vivrai, y mourrai, y serai enterrée.

La pluie battait lentement l'immense verrière qui surplombait la pièce à vivre, créant goutte après goutte une berceuse résonnant dans le silence. Il n'était pas réellement tard, mais l'obscurité qui s'installait de plus en plus tôt au dehors – la faute à la saison hivernale – tendait à fatiguer les Parisiens. Louyse ne dérogeait pas à la règle. Elle se sentait vide de force, d'énergie. La journée avait été longue, et elle était loin d'être terminée. Si la jeune femme n'avait pas été si droite et polie, elle n'aurait pas hésité une seule seconde à repousser son rendez-vous du soir. Ce qui aurait d'ailleurs signifié repousser un peu plus encore le confort qu'elle souhaitait s'accorder depuis qu'elle avait emménagé dans la capitale.

Elle se demandait si, au fond, l'état de son chez-elle ne jouait pas un rôle dans sa fatigue. L'immense habitation qu'elle avait investie lui semblait bien froide. Les nombreux travaux qui se faisaient au jour le jour n'arrangeaient rien aux choses. Un ballet constant d'ouvriers défilait du matin au soir ; de lourdes bâches séparaient les espaces rénovés de ceux qui étaient à refaire ; une couche de poussière accompagnait chaque changement. Aucune décoration, aucun meuble définitif. C'était à peine si Louyse avait défait les quelques cartons qui lui étaient déjà parvenus. Le futur loft n'avait jusqu'à présent aucune âme. Mais au moins pouvait-elle se consoler en se disant que son appartement vibrerait d'un charme tout particulier lorsque les rénovations toucheraient à leur terme.
En feuilletant les annonces de ventes, depuis sa chambre japonaise, Louyse avait eu un coup de cœur pour cette ancienne manufacture à tissus du dix-neuvième siècle. La verrière et les fenêtres Eiffel avaient eu raison d'elle, elle n'avait pas résisté à l'envie d'y vivre. Son grand-père avait de suite été mandaté pour une visite des lieux, et deux jours ne passèrent pas que déjà les Creutz se faisaient propriétaire des cent quarante mètres carrés parisiens – cent quatre-vingts huit, en comptant mezzanine et terrasse. Leur premier bien dans la capitale française, d'ailleurs. En arrivant sur place, la rouquine avait déchanté. On l'avait prévenu de l'importance des modifications à apporter, mais elle ne s'était pas rendue compte de l'ampleur de la chose avant de mettre le pied sur la dalle bétonnée qui serait bientôt recouverte d'un plancher d'époque récupéré dans une autre manufacture de la région.

Mais bientôt. Bientôt elle se sentirait chez elle.
Un nouveau pas vers cela serait d'ailleurs fait dans quelques minutes, si l'artisan se révélait à la hauteur de ses espérances. S'il y avait bien une chose que la demoiselle ne pouvait se résoudre à accepter, c'était de vivre au milieu de meubles fabriqués en série dans des planches de contreplaqué ou d'aggloméré écœurants. Il se trouvait justement que le peu de mobilier dont elle disposait à l'heure actuelle s'en trouvait fait, ce qui n'arrangeait en rien les choses …

Le calme de l'appartement se fendit d'un tintement de sonnette. La rouquine dévala à toute vitesse le colimaçon qui la mena au premier niveau. Elle n'avait jamais su utiliser des escaliers normalement. Elle les montait deux marches par deux marches, les descendait en courant. La jeune femme se gardait cependant de faire cela en public, mais ne se gênait pas de reprendre sa mauvaise habitude lorsque personne n'était là pour la surprendre. Louyse avait déjà manqué de se rompre le cou à plusieurs reprise dans le colimaçon, encore trop peu habituée aux marches métalliques qui desservaient la mezzanine.

Elle bifurqua à toute hâte sous le regard interloqué de Niphredil, la chatte chausie affalée sur le canapé, qui ne comprenait pas d'où venait cette agitation soudaine. L'étudiante ralentit le rythme en arrivant dans le couloir d'entrée. Un coup d’œil à travers le visiophone lui assura que la personne ayant sonné était bien celle qu'elle attendait. Jonas Chamberlain, un ébéniste en recherche de travail. Louyse avait repéré l'une de ses annonces dans un journal local. Elle avait toujours préféré la chaleur des meubles fabriqués par un petit artisan, aussi n'avait-elle pas hésité une seule seconde à le contacter. Il n'était pas le premier qu'elle rencontrait. En tout, une demi-douzaine d'ébénistes-menuisiers avaient été approchée pour ses projets. Aucun n'avait jusqu'à présent fait suffisamment impression à la jeune femme. Et les autres n'avaient pas voulu relever le défi par manque de temps.

Son projet était ambitieux. Son projet était long. Louyse était pointilleuse, exigeante, particulièrement regardante. Elle fit coulisser les hautes portes de métal pour accueillir son invité. Elle était difficile, un brin maniaque sur les bords. Ses lèvres s'étirèrent en un léger sourire de bienvenue, masquant parfaitement la fatigue qui l'avait habité jusqu'alors. Mais plus que tout, elle était fortunée. Et prête à payer une somme plus que correcte à une personne suffisamment intéressée et passionnée.
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