Tu voulais le silence quand j'étais que musique (Eléa)
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Sujet: Tu voulais le silence quand j'étais que musique (Eléa) 9/11/2017, 22:47
Tu voulais le silence quand j'étais que musique.
feat Eléa Dupin
La douleur. Les muscles qui craquent, qui se tordent, qui protestent. Le sang qui envahit son champ de vision et qui coule en fine gouttelette le long de son visage. Et ces cris, et cette haine presque palpable de l'homme au-dessus de lui, qui continue de frapper alors qu'il est à terre, semi conscient. L’incompréhension d’un gamin, d’un adolescent qui n’a même plus la force de lui demander d’arrêter, qui ne comprend pas ce qu’il a fait pour être détesté à ce point. Pourquoi ? Cette question, il se la pose en permanence. Elle empoisonne sa vie. Pourquoi son père est-il comme ça ? Pourquoi donne-t-il l’image du parfait chef de famille devant les autres pour mieux l’humilier et cogner lorsqu’ils se retrouvent à huit-clos ? Pourquoi lui ? Pourquoi avoir eu un enfant si c’est pour le haïr à ce point ? Pourquoi, tout simplement. Est-ce de sa faute ? Il l’a cru pendant longtemps. Enfant trop turbulent et explorateur pour un père qui n’aspirait qu’à la tranquillité et au calme durant le peu de temps qu'il passait dans son pays natal. Peut-être méritait-il toutes ces punitions lorsqu’il était plus jeune. Peut-être était-ce normal. Mais qu'en est-il aujourd’hui ? Il est calme. Beaucoup trop même d’après ses professeurs, qui s’étonnent chaque jour un peu plus de sa maturité. Premier de sa classe et doué dans tout ce qu’il entreprend. Alors pourquoi continue-t-il à frapper ? Est-ce toujours justifié ? Y’a-t-il seulement une raison ? Sans doute pas et dans le fond, c’est sans doute cela le pire. Se dire que quoi qu’il fasse, ça ne sera jamais suffisant. Que quoi qu’il fasse, son père continuera. Et lui il est là et il accepte parce qu’il n’a pas d’autres choix. Partir ? Mais pour aller où ? Sa mère ne voudrait jamais le suivre de toute manière. Alors, puisqu’elle décide de rester, lui aussi le doit. Parce que quand leur bourreau ne s’en prend pas à Samuel, c’est sur elle qu’il se défoule. Parce qu’entendre ses supplications et voir les traits de son visage déformés par la douleur, c’est bien plus qu’il ne peut en supporter.
« Putain de merde ! » Exclamation agacée que tu lâches sitôt les yeux ouverts. Coeur qui bat la chamade, peau transpirante. Impression d’étouffer. Besoin de partir d’ici au plus vite. Besoin de partir de cet appartement dont les murs semblent beaucoup trop étriqués maintenant. Putain de cauchemar ouais. Putain de vie. Comme un automate, tu bondis du lit et tu attrapes les premiers vêtements à ta portée. Ces gestes, tu les as répété un bon millier de fois depuis que t’es à Paris. Ce sentiment d’urgence, tu le connais beaucoup trop bien. T’attrapes tes écouteurs, ton tabac, un peu d’herbe aussi, parce qu’on sait jamais et te voilà prêt à partir, musique à fond dans les oreilles. Tes premiers pas dans les rues, c’est à petite foulée que tu les exécutent, avant d’accélérer progressivement. Parce que t’as besoin de t’éloigner. Parce que t’as pas envie de penser, parce que tu veux mettre le plus de distance possible entre ce cauchemar et toi. Courir à en perdre haleine, c’est peut-être pas la solution la plus durable, mais sur le moment, ça a toujours tendance à fonctionner. T’as aucune idée de l’endroit où tu vas, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Barbès, c’est ton quartier. C’est peut-être pas le plus beau de la ville, mais tu le connais comme ta poche. T’as pas besoin de réfléchir, seulement de suivre ton instinct et de filer au rythme des chansons qui s’enchaînent dans tes oreilles. Bientôt, t’as une idée beaucoup plus claire de l’endroit où ton inconscient cherche à t’emmener et tu ralentis, freiné par un point de côté dont t’avais même pas conscience jusque là. Montmartre, forcément. C’est toujours là où tu te rends quand t’as besoin de t’échapper, surtout à une heure aussi tardive. La lune est à son zénith et à part quelques dealers du coin que tu connaîtras forcément et éventuellement des promeneurs nocturne comme toi, tu risques pas de croiser grand monde. Exactement ce qu’il te faut. Tu t’installes sur les marches de la basilique et tu fouilles dans tes poches pour sortir ton matériel à rouler. Avant tout, une clope s’impose. Puis un ou deux joints certainement, histoire de chasser les images qui recommencent déjà à affluer dans ton esprit. Concentré, sur ta cigarette, tu l’entends pas tout de suite arriver. C’est un regard que tu sens sur toi qui t’obliges à relever les yeux. Eléa, forcément. Elle aussi vient ici fréquemment et tu le sais très bien en plus. Mais t’y as pas pensé avant. T’avais peut-être pas envie de l’éviter aussi, peut-être plus envie. Sauf que là, tu sais pas trop quoi lui dire. Tu te sens con un peu, parce que c’est toi qui a mis en suspens vos rencontres nocturnes cette fois-ci. « Salut… » tu murmures, sans vraiment oser la regarder. Tu te contentes de retirer un écouteur et d’allumer ton bâton de tabac, les yeux dans le vague.
Tu voulais le silence quand j'étais que musique (Eléa)