C’est amusant de voir comment lui, cet homme si pragmatique, avec ce flegme anglais qu’on lui connait, peut adorer venir s’amuser comme un gosse dans les fêtes foraines. Il a été tenté de demander à sa femme de l’accompagner, mais il en a marre de se faire rembarrer, et en sachant d’avance que ce serait non, comme toujours, finalement, il n’a même pas pris la peine d’essayer. Lauri a finalement préféré demander à Juline de venir avec lui. Il a bien conscience que c’est un peu risqué d’y aller ensemble, la probabilité de croiser un autre enseignant ou des étudiants de l’université où ils sont, est importante. Mais où serait l’intérêt de venir là, si c’est pour y venir en solitaire, il n’y aurait aucun plaisir à ne partager ces moments avec personne. Évidemment, il compte faire attention et ne pas se montrer trop expansif avec elle, mais ça le rend heureux de pouvoir faire ça avec la jeune femme, presque comme un couple normal. Il arrive comme souvent bien en avance sur l’heure qu’il lui a donné et très rapidement il est envahi par les musiques provenant des manèges, les odeurs de sucreries, de barbapapa, de crêpes et autres douceurs bien caloriques. Ça le replonge instantanément dans des souvenirs d’enfance, si bien qu’il est perdu dans ses pensées et ne fait plus attention à ce qui l’entoure. Il reste planté là, au milieu de l’allée devant un marchand de bonbons, ne remarquant pas les gens qui vont et viennent autour de lui. Il ne remarquerait peut-être même pas Juline si elle arrivait à ce moment précis.

Tu n’aurais jamais cru ça possible un jour. Que Lauri te demande de venir avec lui à la fête foraine organisée par la mairie de Paris semble être comme un rêve pour toi. Seulement, ça ne l’est pas. Tu le sais puisque tu es devant l’entrée. T’as essayé de te faire un peu jolie puisque c’est quand même un rendez-vous mais pas trop parce qu’il ne faut pas que vous montriez que vous êtes ensemble. Tu sais que tu ne dois pas être trop expansive, trop tactile avec lui aujourd’hui. Ça va être dur mais tu vas le faire. Inconsciemment, tu poses la main sur ton ventre dans un geste de protection alors que des enfants courent autour de toi sans se soucier de ce qui se passe. Tu espères qu’un jour, ton bébé pourra lui aussi faire ce genre de chose : se mettre de la barbapapa partout, manger une pomme d’amour, essayer d’attraper les canards en plastique ect… Tout ce que toi tu faisais quand tu étais enfant. T’étais tellement fière quand tu revenais vers tes parents avec un lot gagné au chamboule tout. Enfin, ce n’est pas le moment de penser à ça. Ce petit être n’est pas encore né que tu planifies déjà ses journées. T’es pire que ta mère pour ça. Avec un sourire tu t’enfonces dans la foule à la recherche de Lauri. L’odeur des sucreries te mène devant un stand et tu bouscules quelqu’un. « Oh excusez moi. » Tu relèves alors la tête et rencontre le regard de l’homme que tu aimes. Aussitôt, tu rougis et lui souris. « Bonjour Lauri ! » Tu te retiens de l’embrasser et tes yeux reportent leur attention vers les bonbons. Tu rêves de pouvoir manger ces dragibus qui te font tant envie.

En grand enfant, Jaesun ne pouvait pas louper la fête foraine. Il avait besoin de se détendre un peu et l’endroit lui paraissait parfait. Il était venu seul, ça ne le dérangeait pas et si vraiment il s’ennuyait, il appellerait son meilleur ami ou Elsa.  Barbe à papa à la main, le jeune homme avançait distraitement parmi la foule. Un instant, il s’arrêta même devant ces machines enfermant des peluches à attraper avec une pince. Après trois essais et un cri de victoire, un lapin tout doux se retrouva dans ses mains. Plus jeune, il n’avait jamais réussi à en avoir un, Elsa se moquait d’ailleurs souvent de lui dès qu’il se loupait. Amie ingrate.
Au détour d’une allée, Jaesun aperçut quelqu’un de familier. Malheureusement il ne s’agissait pas d’un de ses amis, pire, c’était peut-être la personne qu’il détestait le plus à présent. Son sang ne fit qu’un tour et il s’approcha de lui bien décidé à lui cracher quelques insultes à la figure. Depuis qu’il savait Juline enceinte de lui, Jaesun avait encore plus envie de faire des morceaux de cet homme infidèle.
Stoppé dans son approche, le jeune homme grimaça en voyant sa cousine s’approcher. Quelque part, il était heureux qu’elle soit en compagnie de cet homme, il avait fait l’effort de venir avec elle. Seulement, sa colère ne le lâchait pas. Un instant il hésita même à s’approcher et leur donner sa peluche en précisant bien qu’il l’offrait en cadeau pour le bébé. Il savait que l’homme n’était pas au courant et jamais il ne trahirait Juline de la sorte mais son envie de mettre le bazar dans leur relation ne l’aidait pas à rester à sa place. Cependant, il prit sur lui et les observa de loin, lunettes sur le nez et casquette sur la tête, le jeune homme se retrouva en mission espionnage du couple interdit. Il ne savait pas vraiment ce qu’il espérait voir mais il ne pouvait pas abandonner sa cousine. Sans faire attention, il bouscula un homme blond en compagnie de ce qui semblait être ses enfants eux aussi dévorant des barbes à papa. « Pardon, je... désolé ! » Gêné, il frotta le haut de l'homme sur lequel sa barbe à papa s'était un peu écrasée. Ses yeux cependant ne quittaient pas le couple plus loin. Il ne fallait pas qu'il perde leur trace.

Lauri est sorti de ses pensées par quelqu’un qui lui rentre dedans, mais la voix qui s’excuse lui est particulièrement familière et un sourire instantané apparait sur son visage. « Juline ! Bonjour la belle. » Si le prénom de la jeune femme est prononcé de manière enthousiaste, le reste de sa phrase est dite avec un peu plus de discrétion. Le trentenaire a une furieuse envie de la serrer contre lui, mais il se contient. C’est le genre de moment qui lui fait réfléchir et prendre conscience que ça ne peut pas durer éternellement comme ça, qu’un jour où l’autre il va devoir prendre une décision. Mais pour le moment il profite juste de l’instant présent, ce n’est pas le moment pour ce genre de tergiversation. Lauri aperçoit un visage qu’il reconnait comme étant Benoît, l’homme qu’il a rencontré au cinéma l’autre jour, et il répond rapidement à son signe de tête par un geste de la main, mais constatant qu’il est avec ses enfants, finalement il n’ose pas aller à sa rencontre, le laissant profiter de son moment en famille. Il ignore totalement qu’en reportant son attention sur Juline, il vient de manquer Jaesun, qui les surveille de loin. « Tu en veux ? » Il voit bien l’envie dans le regard de la jeune femme devant les bonbons et comme il en a envie aussi, il s’avance plus près du stand et demande un grand cornet rempli de dragibus ainsi que deux pommes d’amour. Bon pour les dents on repassera, mais c’est tellement. « Et voilà pour mademoiselle. » Lui tend une des pommes et le paquet de bonbons en souriant. Se sent bien là avec elle, malgré le risque que cela comporte.

Le voir te rend immédiatement le sourire alors même que tu brûles d'envie de le prendre dans tes bras et de l'embrasser. Mais c'est impossible puisque vous pourriez rencontrer du monde, que ce soit sa famille, la tienne ou même des gens de l’université, professeurs et élèves. Tu essaies donc de paraitre naturelle même si dans ton fort intérieur, tu l’as déjà déshabillé une bonne vingtaine de fois. Le doux son de la voix de Lauri résonne à tes oreilles pendant que tu rougis quelque peu. Recevoir des compliments des gens n’a jamais été ton fort mais encore plus quand ils viennent de l’être que tu aimes. Tu baisses donc un peu la tête et détourne ton attention de lui, pour baver sur les sucreries que tu as devant le nez. Tout cet étalage te fait envie mais ce qui attire le plus ton attention ce sont les dragibus qui réveillent la bête cachée dans ton estomac. Quand Lauri te demande si tu en veux, tu hoches simplement la tête comme une enfant qui sait qu’elle n’a pas le droit d’en manger mais qui pourtant donnerait cher pour en avoir. Tu te moques bien des caries. Mais tu tiens à la santé de ton bébé. Lui donner trop de sucres n’est sûrement pas bon. Après quelques secondes à saliver devant cette montagne de bonbons, une pomme d’amour ainsi qu’un sac de dragibus apparaissent dans ton champ de vision. Aussitôt ton visage s’illumine et il te faut toute la volonté du monde pour ne pas sauter à son cou et l’embrasser tendrement. « Merci Noutch. » Tu as murmuré son surnom pour ne pas être surprise par quelqu’un mais tu sais qu’il l’a entendu. Avec un sourire, tu croques dans la pomme d’amour et porte ton attention vers un stand de tir à la carabine. Tu lèves les yeux vers les lots et tu remarques dans un coin tout un lot de barrettes avec des animaux rigolos dessus. Aussitôt, tu penses à Jaesun. Ça lui irait tellement bien ce genre de chose. Tu sors alors ton portemonnaie pour payer le ticket et apprend qu’il faut que tu tires sur les trois ballons avec seulement quatre essais. Tu te mets en position et tire tes quatre billes qui viennent éclater les ballons. « J’ai réussi ! » dis-tu fièrement en montrant du doigt les barrettes que tu vas offrir à ton cousin. Lorsque tu les as en main, tu les montres à Lauri. « Je suis sûre que Jae va aimer celle avec le pingouin. Il tire la langue et il louche. Mais personnellement, j’aime bien le chat avec les yeux en formes de cœur. » Message subliminal pour ton chéri pour lui faire comprendre que tu l’aimes même si tu ne peux pas lui montrer. Peut-être même que tu veux aussi un chat par la même occasion.

L'animation et les rassemblements de population, il n'y avait rien que Lana aimait plus que ça. Elle se sentait bien entourée d'un tas de personnes qu'elle ne connaissait pourtant pas forcément. Et en grande enfant qu'elle était restée, elle ne pouvait pas passer à côté de cette fête foraine. La demoiselle était déjà arrivée avec un paquet de sucettes dans son sac. C'était tout Lana, toujours une sucette au bec. Mais elle savait aussi pertinemment que ce n'était pas la seule chose qu'elle mangerait aujourd'hui. Oui elle devait garder la ligne pour ne pas avoir l'air d'un boeuf sur les prochaines photos qu'elle ferait. Mais elle estimait aussi avoir le droit de profiter de la fête comme tout le monde. Il serait bien temps de laisser place au régime les jours suivants. Lana était émerveillée de tout dans cet endroit. Elle avait simplement envie de tout essayer pour retomber en enfance. Cette époque lui manquait parfois. C'est vrai, on est insouciant quand on est gamin, bien qu'elle n'ait pas changé beaucoup de tempérament depuis. Mais bon. Les manèges l'appelaient, mais pour le moment, il lui fallait une pomme d'amour. Elle en raffolait complètement et n'en mangeait pas assez souvent à son goût. C'était donc à ça que servaient les fêtes foraines. Elle se rendit au stand le plus proche et s'acheta ce petit encas qu'elle dévorait déjà des yeux. Puis elle repéré une femme qui semblait tout prendre en photos, des gens comme tout le monde. Elle aurait pu exercer en tant que paparazzi. C'est vrai franchement, les parisiens ne venaient pas forcément ici pour se retrouver sur les photos de gens aussi lambdas d'eux qu'ils ne connaissaient ni d'Adam ni d'Eve. Enfin... Lana se contenta de secouer la tête de dédain et porta son regard un peu plus loin.

Lauri est amusé de l’enthousiasme de Juline et c’est dans des moments comme ça qu’il se rappelle qu’ils ont sept ans d’écart. Mais il la suit sans rechigner vers le stand de tir et sourit en la voyant se mettre en position de tir. Très honnêtement, il ne s’attend pas au résultat bluffant qu’elle a finalement et c’est avec un regard fier, mais surpris qu’il la regarde, alors qu’elle lui montre heureuse les barrettes qu’elle compte prendre. Sur le moment, il comprend pas trop ce choix, ne l’ayant jamais vu porter ce genre d’accessoire tout de même très enfantin, mais rapidement, l’explication arrive, ce n’est pas pour elle. « Ton cousin ? » Ce sont des barrettes de petite fille, alors forcément, ça intrigue un peu le trentenaire, mais après tout, pourquoi pas ? Il les regarde d’un peu plus près quand elle lui dit lesquelles elle préfère, comprenant le message qu’elle lui fait passer. « Je suis d’accord avec toi, je préfère largement celles avec le chat aussi. » Lui retournant tout aussi discrètement le message. « Un tour de grande roue ça te tenterait, on pourrait être tranquille un petit moment sans aucun risque comme ça. » Lauri sourit largement à l’idée. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus isolé, il y a tout de même les nacelles autour d’eux, mais ce sera toujours un petit moment complice où ils auront moins besoin de faire attention. Se doutant que ça plaira à la jeune femme, il se dirige vers la grande roue, s’insérant dans la file d’attente Juline pas loin de lui. Un tour d’horizon autour d’eux, personne à priori à qu’ils ne connaissent dans son champ de vision, mais le professeur repère une jeune femme assise sur un banc, en train de prendre des photos. Pourvu qu’elle n’ait pas la mauvaise idée de les inclure dans ses clichés.

Il y avait beaucoup trop de monde à cette fête et Jaesun allait finir par perdre du vue ses proies. Pourquoi avait-il foncé dans quelqu’un déjà ? Sûrement parce qu’il passait son temps à regarder le connard de copain de sa cousine plutôt que de faire attention où il mettait les pieds. « Pardon encore je… dois y aller ! » Il n’avait eu aucune réponse ni même une réaction de la part de cet homme. Peu importait. Il n’allait pas taper la causette alors que sa cousine s’éloignait avec le diable en personne. Quoi que, il connaissait déjà le diable et c’était Victor. Lauri devait être son bras droit. Au moins, Jaesun était attaché à Victor et voulait qu’il aille mieux, si Lauri venait à se casser les deux jambes devant lui, il ne ferait que lui rire au nez. Mauvais Jaesun ? Oui. Il ne supportait pas qu’il traite sa cousine ainsi.
Reprenant donc sa marche, il se faufila comme il put derrière le couple adultère et fronça le nez. Ils n’avaient pas vraiment l’air d’un couple puisque Lauri devait sûrement faire attention à ne pas être vu trop proche de son élève. Jaesun avait juste envie d’hurler derrière eux et les exposer au grand jour. Il savait pourtant que sa cousine lui en voudrait à vie. Il les suivit jusque dans la file de la grande roue. Qu’allait-il faire ? Monter dans ce truc et les observer ? Venir se mettre entre eux dans la nacelle ? Il leva les yeux au ciel à son propre comportement qu’il trouvait puéril mais il ne voulait pas lâcher sa cousine des yeux alors il continuait de la fixer tout en mâchouillant sa barbe à papa.

Tu t’amuses comme une petite folle. Tu ne peux pas le nier et c’est encore plus le cas quand tu arrives à avoir le lot que tu souhaitais après avoir tiré à la carabine. Tu le montres fièrement à Lauri en expliquant que ton cousin aimera le pingouin. « Oui mon cousin. Il aime avoir des accessoires dans les cheveux. C’est mignon je trouve. » Tu souris quand tu parles de Jaesun. C’est le premier homme de ta vie. Celui qui aura toujours une place à l’intérieur qu’importe ce qui arrive. Pourtant, t’as mal pris sa réaction à ta grossesse. T’as compris qu’il était en colère parce que Lauri est toujours avec sa femme, mais ce n’était pas une raison pour te crier dessus comme ça. Cependant, aujourd’hui, t’as pas envie que des pensées négatives s’insinuent dans ton esprit. Tu les chasses donc et poses un sourire ravissant sur tes lèvres alors que tu montres à ton professeur le chat avec les yeux en forme de cœur espérant qu’il comprenne le message subliminal. Apparemment il le comprend et ton cœur rate un battement. Tu l’aimes c’est une certitude. Même ce genre de journée, ou vous êtes obligés de vous cacher et de ne pas trop montrer d’affection l’un envers l’autre, tu pourrais l’endurer toute ta vie, si tu sais que tu es aimée par l’homme que tu aimes. Un simple regard de sa part suffit à réveiller ton cœur et c’est avec plaisir que tu acceptes de faire ce tour de grande roue avec lui. « Oui, j’ai bien envie d’être tranquille avec toi aussi… » Oui, tu as beau dire que tu pourrais l’endurer, t’aimes aussi les petits moments où vous passez du temps que tous les deux. Tu le suis alors dans la foule, à une distance raisonnable pour que rien n’éveille les soupçons des gens autour d’eux, mais assez près tout de même pour ne pas le perdre de vue. Tu manques alors de tomber en trébuchant sur une canette de soda que tu n’avais pas vu. Tu te rattrapes alors à sa manche espérant ne pas agrandir le vêtement. Heureusement, tu ne tombes pas. Ça aurait été le drame pour toi si ton ventre avait heurté le sol. « Désolée… J’ai trébuché. » Tu te relèves aussitôt pour éviter que quelqu’un comprenne ce qui se passe. T’aurais aimé qu’il te prenne dans ses bras et qu’il t’embrasse. Mais dans un lieu public comme ça, hors de question.

Ismène attendait dans la file d’attente de la grande roue. Elle souriait doucement, un écouteur dans l’oreille. La fête foraine. Elle avait voulu y aller, pour monter dans la grande roue. Juste pour ça. Elle n’avait pas regardé les autres stands. Tirer sur une cible ? Non, ce n’était pas pour elle. La blonde était un danger public, avec une arme en main. La seule chose qui l’avait attirée, c’était la grande roue. Grande, magnifique, et peut-être rayonnerait-elle, une fois la nuit tombée ? Le sourire d’Ismène s’agrandit, rien qu’en y pensant.

Il y avait du monde. En général, elle n’était pas trop fan, mais aujourd’hui… elle pouvait faire un effort. Un peu de musique, et tout irait bien. Aucune crise en vue. Elle se sentait bien. Peut-être qu’après, elle irait acheter une barbe à papa, ou une de ces sucettes géantes ! Le sucre, lors d’une fête foraine, c’était presque une obligation. La file avança doucement, et Ismène fit quelques pas devant elle. Elle n’était pas là depuis très longtemps. Depuis… allez, cinq minutes ? Peut-être six.
Elle était presque en train de sautiller, à force de voir l’attraction se rapprocher. Ça allait être sa première fois dans une grande roue. Elle refit un pas en avant tout en enlevant son écouteur, afin de le ranger dans sa poche de jean, et se cogna contre quelqu’un. Ismène sursauta et fit une grimace : quelle gourde, mais quelle gourde !

« Excusez-moi, j’aurais dû faire plus attention ! », dit-elle rapidement.

Le garçon face à elle était asiatique et tenait une barbe à papa dans les mains. Il avait surtout une tête d’enfant. Ismène continua à balbutier des excuses, croisant ses doigts entre eux.

L’esprit de Jaesun s’égara en fixant le couple devant lui. Peut-être pourrait-il pousser Lauri une fois en haut de la grande roue ? Mauvaise idée, il gâcherait sa vie à cause d’un abruti incapable de faire un choix. Ça n’était pas la meilleure solution. Il était condamné à regarder sa cousine n’être qu’une amante jusqu’à ce qu’il se décide enfin à bouger ses fesses et choisir l’une des deux femmes de sa vie. Il ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi Juline subissait tout ça. « L’amour ». Foutaise. Etre amoureux était une bonne chose mais se laisser bouffer par quelqu’un n’avait rien de bon. La plus âgée des Chesnais ne comprenait pas ce que Jaesun pensait et lui n’arrivait pas à accepter qu’elle se rabaisse ainsi. Ils étaient dans une impasse et ça emmerdait grandement l’asiatique. A ses yeux sa cousine était une merveille. Elle méritait bien mieux que d’être mise sur le côté par un quadragénaire – oui bon il exagérait, il avait à peine trente-cinq ans – incapable de prendre une décision.

Sa rêverie fut une nouvelle fois stoppée par quelqu’un. Combien de fois allait-il bousculer un autre être humain aujourd’hui ? Pire, combien de fois allait-il se retrouver le nez écrasé dans sa barbe à papa ? « Excusez-moi, j’aurais dû faire plus attention ! » Dirigeant son regard vers la cause de cette petite bousculade, Jaesun sourit franchement. Au moins, la demoiselle face à lui semblait à peu près de son âge et, encore mieux, elle était vraiment mignonne. « Pas de souci ! Il y a quelques minutes c’est moi qui me suis vautré sur quelqu’un… Il doit encore avoir de la barbe à papa sur son haut ! »

Jetant un rapide coup d’œil à ses cibles, il fut rassuré de les voir toujours devant lui. La jolie demoiselle ne devait pas le distraire de son but. « Il y a beaucoup de monde en plus… j’ai l’impression d’être une sardine… » Mâchouillant sa barbe à papa, il tenta un sourire pour rassurer la demoiselle qui paraissait vraiment peu à l’aise. « Vous êtes toutes seule ? » Elle ne semblait appartenir à aucun groupe autour d’eux et n’avait pas non plus d’homme à son bras. « Jaesun, et vous ? » dit-il en tendant sa main gentiment, tout sourire .

Le garçon sourit pendant qu'Ismène s'excusait. Elle était bien trop désolée pour se vexer – et même, en était-elle vraiment capable ? Ce fut lorsqu'il parla qu'elle leva les yeux de ses doigts. Il la rassura et lui appris qu'il y avait à peine quelques minutes, c'était lui qui avait bousculé quelqu'un. Ismène sourit doucement en entendant sa dernière phrase. Elle, au moins, n'avait subie aucun dégât ! Le garçon, par contre... s'il avait tout le temps sa barbe à papa collée contre le nez, ce dernier devait coller.

« Tant mieux, alors, dit la blonde. Encore désolée, j'étais ailleurs... »

Elle lança un nouveau sourire au garçon, comme pour se faire pardonner. Ismène continua de l'écouter, avant d'acquiescer : ils étaient tous des sardines. Tout le monde semblait aimer la grande roue... elle soupira doucement par le nez pour se calmer. Ce n'était pas le moment de faire une crise d'angoisse ! Elle regarda autour d'elle et vit l'asiatique lui sourire. Elle lui rendit timidement son sourire et remit une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille. Sa question lui fit hausser les sourcils.

« Oui, je n'avais personne pour m'accompagner... », avoua-t-elle avec gêne.

Ismène regarda la main qu'il lui tendait pendant une ou deux secondes, et la serra avec le peu de force qu'elle avait. Elle hocha la tête pour montrer qu'elle avait entendu. Jaesun. C'était beau. Ça glissait sur le bout de la langue.

« Ismène, répondit-elle. Je pense qu'on peut se tutoyer, on doit avoir pratiquement le même âge... oh, on avance ! », s'exclama-t-elle en faisant quelques pas.

Elle avait gardé la main de Jaesun dans la sienne, le forçant à avancer avec elle. En temps normal, elle l'aurait lâchée, mais avec tous ces gens collés ensemble... elle se tourna vers Jaesun et demanda doucement :

« Je peux te prendre la main ? Je n'aime pas trop la foule... »

Elle espérait ne pas avoir fait quelque chose de déplacé.

Jaesun n’était pas quelqu’un de timide et parlait facilement aux étrangers. Il avait aussi conscience que ça pouvait troubler certaines personnes. La demoiselle qui venait de le bousculer semblait réellement gênée et Jae tenta comme il put de la rassurer. Ça n’était qu’une petite bousculade et il n’était pas forcément irréprochable ayant lui-même bousculé quelqu’un quelques minutes auparavant.

Par chance, il était tombé sur une demoiselle seule, pas de garçon collé à sa hanche pour lui dire de laisser sa copine tranquille. Ils devaient être les deux seuls à être venus sans accompagnateurs pour l’attraction qui attirait un maximum de couples. Les présentations faites, Jaesun ne put que sourire quand la demoiselle lui proposa le tutoiement. Elle se détendait ce qui fit sourire Jaesun un peu plus encore. « Avec plaisir. J’ai dix-neuf ans. Enfin, on s’en fout au pire » dit-il en rigolant. Il parlait beaucoup, il en était conscient mais ça le démangeait de faire sourire la demoiselle qui paraissait plutôt renfermée.

Curieux, le jeune homme regarda leurs mains toujours liées à mesure que la file avançait. Lorsqu’il entendit l’explication de la demoiselle, un sourire tendre se dessina sur son visage et il serra faiblement la main toute fine entre ses longs doigts. « Pas de souci… » Lui avait toujours adoré les espaces bondés, à l’aise un peu partout, il n’avait aucun problème à supporter la présence d’inconnus mais il comprenait parfaitement la gêne que pouvait éprouve Ismène. Elle avait de la chance d’être tombé sur quelqu’un comme lui, beaucoup auraient sûrement dégagé leur main rapidement. « Au moins, on ne fait plus tâche à côté de tous ces couples. » Instinctivement, son regard se posa sur le dos de Juline et Lauri. Il perdit son sourire quelques instants avant de soupirer. « Devant là, c’est ma cousine. Et avant que tu demandes, non elle ne sait pas que je suis là, et non, je ne veux pas qu’elle me remarque. » Il devrait sûrement en dire plus mais il n’eut pas le courage. Rien que d’y repenser il sentit son ventre se tordre désagréablement sous la colère. Cette relation allait le rendre cinglé.

Il n'arrêtait pas de sourire. Il était mignon, comme ça. Jaesun apprit à Ismène qu'il avait dix-neuf ans, puis dit que ce n'était pas grave, qu'on s'en foutait. Ismène rigola doucement. Elle, elle ne s'en foutait pas. Elle n'apportait pas non plus une grande importance à l'âge. Jaesun pouvait lui dire son âge, s'il le souhaitait. Ismène serait tout simplement heureuse d'en savoir plus sur lui. Ils faisaient connaissance ? Peut-être.

« J'ai vingt-deux ans, Jaesun. », dit-elle avec douceur.

Elle lui offrit un petit sourire et s'exclama en voyant que la file avançait. Ils pourraient bientôt monter ! Ismène réalisa qu'elle tenait toujours la main de l'asiatique entre la sienne, et se tourna pour lui demander si ça ne le dérangeait pas. En général, les gens se dégageaient, ce qui était compréhensible. Encore plus dans ce genre de situation. Ils venaient de se rencontrer, et elle lui tenait déjà la main, comme s'ils étaient un couple ! Pourtant, la réponse de Jaesun surpris Ismène. Pas de souci ? En sentant ses doigts se serrer autour des siens, elle baissa les yeux vers leurs mains entrelacées, et lui offrit un grand sourire pour le remercier. Ses paroles la firent rougir. Oui, ils ne faisaient plus tache... Ils ressemblaient à un couple. Ismène posa ses yeux sur ceux de Jaesun – elle devait lever le menton pour le regarder, comme avec beaucoup d'hommes – et lui lança un autre sourire, qui fit apparaître des rides sur ses tempes. Si Jaesun avait un pouvoir, c'était celui de faire sourire les gens. Ismène en était convaincue.

Lorsqu'elle le vit perdre son sourire, elle entrouvrit les lèvres et pencha sa tête sur le côté. Elle regarda devant eux et aperçut deux dos. L'un d'eux était recouvert par des cheveux. Elle apprit que c'était la cousine de Jaesun. Ismène acquiesça en l'entendant dire qu'il ne voulait pas qu'elle sache qu'il était là. Elle ne pouvait pas dire qu'elle comprenait – c'était faux –, mais elle pouvait au moins aider Jaesun à se faire discret. Comme elle.

« Et tu veux la suivre jusqu'aux nacelles ? demanda doucement la blonde. Si tu veux être discret, il faut te fondre dans la masse ! »

Elle lui sourit en serrant ses doigts autour des siens. Ça ressemblait à une mission. Une mission d'agents secrets. Et ça lui plaisait !

Pour Jaesun, peu importait l’âge de la personne à ses côtés tant qu’il y avait un bon feeling. Et c’était le cas avec Ismène. Il était quelqu’un d’adorable et ouvert mais lorsqu’il n’aimait pas ou n’avait pas envie de faire quelque chose, il savait aussi le dire. Il ne se forçait à rien, préférant se laisser aller à apprécier les choses. Tenir la main de la demoiselle ne l’embarrassait pas, il était comme ça Jaesun. Puis il sentait son malaise et il n’avait aucune envie qu’elle panique et ne profite pas de la grande roue. Si elle était venue malgré ses craintes c’était qu’elle désirait vraiment monter dans la roue de fer et Jaesun allait l’y aider avec grand plaisir.

Parler de sa cousine changerait sûrement les idées d’Ismène et détournerait son attention de la foule plutôt compacte autour d’eux. Jaesun n’aimait pas voir sa cousine avec ce mec mais quelque part ça le rassurait de les voir se promener. Lauri faisait sûrement des efforts pour passer du temps avec elle. Mais ça ne suffisait pas aux yeux du jeune homme. Surtout pas maintenant qu’il savait qu’elle était enceinte. Elle méritait un homme présent pour elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre pas un infidèle rentrant dormir avec sa femme. Ismène allait le prendre pour un grand malade. Espionner sa cousine comme une petite fouine n’était pas de son âge mais il ne pouvait s’empêcher de vouloir la protéger. D’ailleurs quand il avait vu qu’elle avait manqué de tomber, il avait retenu un mouvement pour aller la récupérer et vérifier qu’elle n’avait rien. Mais la présence de Lauri l’en avait empêché.

Jetant sa barbe à papa finie, Jaesun retrouva son sourire, un peu mesquin d’ailleurs. « Oui. Je sais que ça a l’air complètement con, mais j’veux voir comment ils se comportent ensemble. » D’un geste évasif, il désigna l’homme à côté de Juline non sans grimacer un peu. « Je me fonds dans la masse, regarde, j’ai une couverture. En couple avec une jolie demoiselle, prêts à monter dans la grande roue. » dit-il gentiment en serrant ses doigts en retour. De son pouce, il caressa même doucement le dos de la main d’Ismène, plus pour la rassurer qu’autre chose. La foule se fit un peu plus pressante alors qu’ils arrivaient presque aux nacelles. « J’espère qu’on montera dans le même tour qu’eux et pas trop loin ! Mais, si elle nous remarque, surtout tu fais comme si on ne les avait pas vu avant. Ok ? » L’air malicieux, il lui fit un clin d’œil. Au final, cette journée n’était pas si nulle.