La maison est désespérément vide, comme tous les jours depuis presque deux ans. Même quand sa femme est là, c’est comme si elle ne l’était pas. Son corps est présent, son esprit est ailleurs. Lauri a bien essayé de l’aider, mais Elina le repousse sans cesse, le rejette constamment. Entre eux, il n’y a plus de discussion, plus de regards complices échangés, de sourires qui parlent pour eux, reste-t-il même de l’amour ? Oui, sans doute encore un peu. En tout cas, le professeur le pense, sinon pourquoi reste-t-il là, encore avec elle. D’autant qu’il a rencontré quelqu’un d’autre, et que même si cette relation devrait être prohibée autant par le fait qu’il soit marié que le fait qu’il s’agit de l’une de ses étudiantes, Lauri aime sincèrement Juline. Il a retrouvé avec la jeune femme, tout ce qu’il a perdu avec son épouse le jour où ils ont appris qu’elle ne peut pas avoir d’enfant. Avec son élève, Lauri a réappris à aimer, a réappris à rire, a réappris à vivre. Voilà près d’un an qu’il est avec elle, il n’a pas vu cette relation prendre de l’ampleur, c’est venu comme ça, d’ailleurs il n’a jamais voulu tromper sa femme, avec Juline ça s’est fait comme ça, petit à petit, entre eux c’est venu naturellement, il ne pouvait combattre l’attirance qu’il ressentait pour elle et s’est laissé plus ou moins volontairement prendre au piège dans cette liaison. Lauri avait besoin de ça pour se sentir à nouveau exister, et cela lui fait du bien de se sentir aimer et de se sentir important pour quelqu’un. Juline est sa bouffée d’oxygène dans son quotidien devenu trop morose.

Au début de leur relation, ils étaient plus amants qu’autre chose, et techniquement ils le sont toujours, puisque Lauri est toujours marié. Mais la différence réside qu’au départ, leur relation était surtout physique, ils se voyaient en cachette, dans une chambre d’hôtel et autres clichés des amants secrets, mais rapidement cela a évolué entre eux, ils ont eu besoin de plus que cela, de se voir sans que cela ne se termine systématiquement en faisant l’amour. Ils aspiraient à une vraie vie de couple et on trouvé un coin dans Paris, éloigné de chez lui, éloigné de l'université, mais dans les environs de sa belle, où ils peuvent donc se retrouver en toute liberté pour aller au restaurant, au ciné ou simplement se balader main dans la main sans avoir à se cacher ou à craindre qu’on les voit et les reconnaissent, même s'il faut toujours faire attention. Il y a bien plus simple, il y a une solution pour eux, mais Lauri a beau le promettre à Juline, il a beau lui faire croire qu’un futur est possible pour eux, il a beau essayer de s’en persuader lui-même, et il le veut sincèrement au fond, il est juste simplement pour le moment, incapable de prendre la décision qui permettrait tout cela : demander le divorce. Il n’arrive tout bonnement pas à se résoudre à abandonner sa femme comme ça, pas dans l’état dépressif où elle se trouve, il aurait l’impression de l’enfoncer encore plus qu’autre chose, même si au final, être là près d’elle ne l’aide pas et ne change rien. C’est parce qu’il y a encore de l’amour entre eux, ou tout du moins que lui l’aime encore un peu, qu’il n’arrive pas à lâcher prise et à la quitter, one ne tire pas un trait sur une relation de presque vingt ans en un claquement de doigts. L’anglais culpabilise énormément de la tromper, mais dans un sens il culpabilise vis-à-vis de Juline aussi, de la tromper également.

Lauri essaie de faire les choses bien avec son étudiante, il ne veut pas la perdre, il l’aime sincèrement, mais sans vraiment sans rendre compte, il la manipule pour qu’elle reste, pour qu’elle ne le laisse pas, alors qu’à l’heure actuelle il n’est pas prêt à laisser sa femme pour elle, il lui fait du mal, alors que tout ce qu’il veut c’est son bien, mais avec lui. Il semblerait qu’au fond, le professeur soit un peu égoïste, à les vouloir toutes les deux, sans se décider à choisir. Mais aujourd’hui, comme la plupart des weekends, il choisit Juline pour le passer en sa compagnie, dans cette petit coin de paradis située à quelques plusieurs centaines de mètres du domicile de la jeune femme. Au programme, une journée simple en amoureux, mais il a prévu sans prévenir sa douce Juline, afin de lui faire une surprise, un pique-nique, pour le déjeuner. Il a préparé le matin même tout ce qu’il fallait, mit le tout dans une glacière et quelques sachets, le tout dans le coffre de sa voiture. Il griffonne un petit mot à l’attention de sa femme pour la prévenir de son absence, qu'elle ne s’étonne pas quand elle reviendra, mais remarque-t-elle seulement encore que son mari n’est presque plus jamais là les weekends ? Peu importe, Lauri n’a qu’une hâte, retrouver Juline, à qui il a envoyé un message un peu plus tôt dans la matinée pour lui donner rendez-vous vers onze heures trente, devant l’entrée du jardin du Luxembourg où ils se retrouvent depuis des mois. Lui y arrive bien vingt minutes avant l’heure fixée, histoire de préparer le kiosque dans le parc pour leur pique-nique, d’y installer la couverture, et de sortir les plats, une rose disposer au centre. Il a eu cette idée la dernière fois qu’ils se sont baladés dans le parc, car malgré la saison, il fait relativement doux, et le kiosque se trouvant là leur offre un abri, le pique-nique étant donc réalisable, même pour un printemps plutôt maussade et il trouve cette idée originale. Lauri aime surprendre sa maîtresse. Quand il revient vers l’entrée, elle est là, magnifique femme, là pour lui, jeune, belle, souriante et pleine de vie. Le professeur sourit, elle lui tourne le dos, il s’avance derrière elle et vient enlacer doucement la jeune femme, la prenant par surprise. « Bonjour toi. Tu m’as manqué. » Et il l’embrasse dans le cou pour accompagner ses paroles.  

 « Ne t’inquiète pas Nonna. Je me nourris bien, je dors bien et je vais bien. J’ai même rencontré quelqu’un… » Tu entends ta grand-mère à l’autre bout du fil en train de crier sa joie. Sa petite fille chérie a enfin trouvé quelqu’un. Ça ne peut pas lui faire plus plaisir que tu lui dises ça. Tu la connais. Elle devait sûrement être en train de se dire qu’elle allait mourir sans rencontrer ne serait-ce qu’un homme dans ta vie. Parce qu’il faut le dire, depuis que Pierre a brisé ton cœur, tu n’as jamais laissé ton cœur s’ouvrir pour personne d’autre. Et puis Lauri est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Tu ne t’attendais pas à ce qu’il prenne autant de place dans ta vie surtout qu’au début tu n’as essayé de le séduire simplement que pour avoir une bonne moyenne. Puis de fil en aiguille, ces sentiments que tu avais gardés en toi pendant des années t’avaient explosé à la figure. Oui, tu aimes du plus profond de ton être Lauri, malgré sa femme, malgré l’incertitude de votre relation. Tu as bien conscience que si l’envie lui prend, il peut te lâcher comme une merde et tu n’auras plus que tes yeux pour pleurer. Tu le sais et pourtant, t’es accrochée à lui. T’es sûre que tu ne pourras pas le laisser partir même si lui le veut. Tu connais sa vie, ses angoisses et surtout tu sais comment le rendre heureux. Tu lui donnes tout ce que sa femme ne peut plus lui donner depuis qu’elle a appris qu’elle ne pourrait pas avoir d’enfant. Lauri, lui, des enfants, il en veut et justement, tu es enceinte. Cependant, malgré ça, tu as peur qu’il te rejette parce qu’il ne veut pas que ce soit toi qui porte cet enfant mais sa femme. Tu as peur de n’être pour lui qu’un passe-temps le temps que sa femme se remette de sa déception. Bien entendu, Lauri n’a jamais montré ce genre de comportement ou même te l’a fait croire une seule seconde. Mais tu ne peux pas t’empêcher d’y penser quand tu es seule avec tes pensées. La voix de Nonna te ramène sur terre alors que tu sors de tes pensées en soupirant. Ce n’est pas en spéculant que tu sauras la vérité. « Désolée Nonna, j’écoutais pas ce que tu disais. Tu peux répéter ? » Ta grand-mère te demande quand est-ce que tu amènes le charmant jeune homme qui a réussi à briser la carapace autour de ton cœur en Finlande. Tu lèves les yeux au ciel en souriant. « Bientôt Nonna. Mes cours sont finis, mais faut que je vois avec lui par rapport à son emploi du temps. Mais on viendra cet été je pense. » Un nouveau cri de joie te résonne dans les oreilles alors que tu souris, heureuse d’entendre ta grand-mère contente. Tu sais qu’elle ne le dira jamais, mais elle pense sûrement que c’est son dernier été en vie. T’espère que ce n’est pas le cas parce que tu veux qu’elle connaisse ce petit bout de chou qui vie en toi. T’as envie qu’elle soit heureuse pour toi, même si tu sais qu’elle n’appréciera pas la situation. Qu’il soit marié ne lui plaira pas, ainsi que le fait qu’il ne sache pas s’il est prêt à quitter sa femme pour toi. Pour ça, Nonna et Jaesun se ressemblent étrangement. Tu sais que c’est pour ton bien et pourtant, tu leur en veux d’être aussi borné. Tu es heureuse comme ça, enfin t’en donne l’impression même si la situation t’ennuie énormément. Tu continues de discuter avec Nonna quelques minutes avant de jeter un coup d’œil à l’heure. Si tu ne te dépêches pas tu vas être en retard. « Nonna, il faut que j’y aille. Je vais être en retard pour mon rendez-vous avec Lauri. » Quand elle t’entend prononcer son prénom, elle ne peut qu’une fois de plus sauter de joie. Il est finlandais et c’est parfait pour elle. Il gagne des points avant même de la rencontrer, même s’il les reperdra de suite après quand ta grand-mère entendra parler de sa situation amoureuse. « Oui il est finlandais et non je te le passerai pas. » dis-tu en riant quand elle te dit qu’elle veut l’essayer aussi. Tu l’embrasses une dizaine de fois avant de raccrocher et de te précipiter dans la salle de bain. Tu prends une douche rapide, enfiles une petite robe de saison ainsi qu’une veste parce qu’il ne fait pas vraiment très chaud. Quand c’est fini, tu chausses tes ballerines et tu sors de chez toi avec ton sac à main, tes clés et ton téléphone portable. Tu marches dans les rues de Paris, un sourire plaqué sur les lèvres, excitée à l’idée de revoir l’homme que tu aimes. Seulement, une ombre vient se poser sur le tableau idyllique de cette journée. Tu n’as toujours pas dit à Lauri que tu étais enceinte. Bon certes, tu ne l’a appris que récemment mais, tu lui caches parce que tu ne sais pas comment il va réagir quand il le saura. L’idéal serait qu’il lâche sa femme et se mette avec toi officiellement et non plus officieusement. Seulement, c’est utopique. Tu sais qu’il n’est pas prêt à la quitter pour toi. Et toi t’attends. On t’a toujours dit que tu étais trop naïve, trop patiente et trop gentille et qu’un jour ça se retournerait contre toi… C’est sûrement en ce moment que ça se retourne contre toi. Avec un soupir, tu arrives au jardin du Luxembourg et tu attends que Lauri arrive. Tu laisses donc tes problèmes derrière toi et affiche un superbe sourire en attendant l’homme que tu aimes. Tu sens deux mains se faufiler dans ton dos pour se poser sur ton ventre. Tu sursautes prête à te défendre si jamais c’est quelqu’un que tu ne connais pas, mais la voix de Lauri se fait entendre tandis qu’il dépose un baiser dans ton cou. Tu glousses un peu parce que c’est une zone sensible chez toi le cou et tu te retournes pour déposer tes lèvres sur les siennes. « Bonjour. Tu m’as fait peur tu sais… » Tu fais une moue vexée. « Mais tu m’as manqué aussi… » Tu reposes tes lèvres sur les siennes mais cette fois-ci, tu forces un peu le barrage de ses lèvres pour que ta langue puisse rejoindre celle de Lauri. Le baiser dure quelques secondes et tu l’arrêtes avant que ça ne devienne trop indécent. « Tu m’as préparé quoi cette fois ? » Même si tu ne le rajoutes pas, tu es une femme chanceuse et comblée de l’avoir.

C’est d’humeur joyeuse qu’il rejoint Juline à l’entrée du parc, même si une petite pointe de culpabilité s’empare de lui quand elle lui avoue qu’il vient de lui faire peur, puisque ce n’était absolument dans son intention. « Anteeksi kultani. J’ai pas pensé que ça te ferait peur, ce n’était pas mon intention. » Cette fois, c’est à son tour de reprendre possession de ses lèvres, sans forcément trop approfondir le baiser, il préfère en garder un peu pour plus tard. Mais ce baiser lui permet de garder un peu encore le suspens sur la surprise, qu’elle semble pressée de connaître. Juste parce qu’il aime cette spontanéité, cette fraîcheur dans leur relation, le professeur sort un bandeau de la poche intérieure de sa veste. « Il va te falloir patienter encore un tout petit peu ma belle. » Puis il place le bout de tissu délicatement sur les yeux de sa compagne, le fermant d’un nœud léger derrière sa tête. « Ça va, ce n’est pas trop serré ? » Il s’enquiert de ce petit détail, mais le but n’est pas de lui faire mal, ni que ça la gêne. Après, vu la marge qu’il y a, il y a peu de chance que ce soit le cas. Mais c’est dans sa nature, c’est dans l’éducation qu’il a reçue de s’inquiéter de ce genre de choses en toute circonstance. « Prends ma main, je te guide, ce n’est pas loin, ne t’inquiète pas. » Lauri s’empare de la main droite de son étudiante, et la passe autour de son bras, pour l’amener jusqu’au kiosque qui se trouve à quelques mètres de là. Il remarque bien les quelques regards curieux sur eux, des quelques passants se trouvant-là. Et vu la mise en scène préparée par ses soins, pour ceux qui seraient un peu observateurs, ils sont probablement déjà en train de s’imaginer une romantique demande en mariage. Cela fait sourire Lauri, parce que cela pourrait être tout à fait son genre de faire sa demande de cette manière. Peut-être, un jour, s’il vient à se séparer officiellement d’Elina, décision encore bien trop difficile à prendre encore pour lui. Non, aujourd’hui, ce n’est qu’un simple dîner en amoureux sans autre surprise que l’organisation de ce pique-nique.

« Voilà, on est arrivé. » Lauri s’arrête à une dizaine de centimètres des marches et libère la main de la miss. « Attends encore un tout petit instant. » Il la laisse debout, là, en bas des marches et se rend au centre kiosque, arrangeant rapidement ce qui a pu être un peu déplacé par le vent et prenant en main la rose qu’il avait mise de côté pour elle. Il se tient debout, dos droit, face à elle, les mains jointes devant lui, tenant fébrilement la fleur. « C’est bon, tu peux ôter le bandeau. » Lauri attend impatiemment de voir la réaction de Juline, mais comme il ne tient pas en place, il ne se contente pas d’attendre et de l’observer. « Surprise ! » Il descendre les quatre marches et lui offre sa main, pour qu’elle la prenne et lui dépose doucement ses lèvres sur le dos de la sienne, en un baisemain distingué. « Le déjeuner de mademoiselle est servi. » Puis il l’invite à monter jusque sous le kiosque. Le temps qu’elle assimile ce qui se trouve autour d’elle, le professeur leur sert à chacun, une coupe de champagne dans des flûtes en plastique. Ignorant encore, bien évidemment, que sa maîtresse n’est plus en état de se permettre de consommer de l’alcool.