hello, it's me
Trois ans. Trois sans que tu n’oses y mettre le pied. Tu y passais la majeure partie de ton temps, égrainer les heures, écouler les secondes à laisser les phalanges caresser les touches parfaitement blanches et lustrées.
La porte que tu pousses et la musique qui te heurte au visage. Le temps que tu ne comptes plus. Les mois sans y mettre les pieds et les souvenirs qui se percutent au crâne. Le goût des lèvres, les mains avides de plus et le palpitant pour s’emporter au fond de ton torse. Ça n’aurait pas dû avoir lieu. Le goût amer des regrets qui roule contre ta langue pour y laisser le gout désagréable. Les billes océans qui filent sur les yeux alors que tu te détaches de ton manteau, que tu le laisses au vestiaire pour te diriger au bar. Le propriétaire qui t’accueille, qui t’ouvre les bras pour te souhaiter la bienvenue. Le sourire satisfait. Les masques qui tombent. Le directeur de compagnie que tu n’es plus. L’homme qui change lorsque tu mets les pieds dans cet endroit.
Tu contournes la foule. Tu laisses un sourire passer sur tes lèvres alors que tu prends cette place convoitée. Cette place appréciée. Les doigts qui s’attardent sur les touches, un caresse suave alors que tu remontes les manches de ta chemise.
La chanteuse qui prend place sur la scène, un regard qu’elle te jette, un sourire qui ourle les lèvres pulpeuses alors que tu détournes les yeux. Les femmes te dégoutent, le goût d’amertume sur les lèvres quand tu donnes un baiser à ta femme. Tu mens. Tu mens aux autres. Tu mens à toi-même. Elle pourrait être attirante, si seulement tu avais envie d’elle. D’elles. De ta femme. Peu de femmes pour t’allumer, peu de femme pour te faire crever d’envie et tu préfères les éviter.
Les doigts s’activent et la musique commence à jouer. Le piano que tu maîtrises à la perfection. Le blues que tu sais jouer et la musique qui emplit la place. Les sourires. La voix de la chanteuse que tu sais suivre, la voix que tu soutiens parce que c’est elle qui a le rôle principal. Tu n’es là que pour la soutenir, que pour enjoliver la voix.
Tes doigts qui filent, le rythme qui augmente et quelques chansons qui se succèdent avant que tu ne quittes la scène. Tu referas quelques morceaux plus tard, pour l’instant, c’est un autre qui te remplace.
Trois ans. Le soulagement d’y remettre pied, mais la peur qui ronge les tripes. La peur de retomber dans les affres du passé, de goûter les lèvres des hommes. Ceux qui t’allument. Ceux que tu n’as pas le droit d’avoir. Ceux pour briser ta carrière. Ceux pour briser sa carrière. Tu ne peux pas de le permettre. La famille parfaite. La femme. Les enfants. C’est ce que tu as depuis huit ans, mais que le goût de cendre entre les lèvres. Que les souvenirs d’une étreinte pour te rendre fou, pour faire monter la rage et la colère que tu ne contrôles pas. Plus maintenant. Tu t’emportes, parce que ça te rend fou.
Tu te diriges vers le bar. Tu croises un regard. Son regard. Tu as cette foutue impression que le temps s’arrête. Trois ans sans venir et tu le croises. Ce soir. Maintenant. Le temps qui se suspend. Le temps qui n’est plus en jeu. Tu crèves. Tu détournes le regard, tu préfères éviter la situation. Un masque que tu dois poser au visage. Celui qui sait mentir, celui qui sait manier. Il sait lire à travers toi. C’est surement ça le problème et tu détestes ça. «
Un verre de gin.» Comme l’autre fois. L’histoire qui se répète, mais la même connerie que tu ne risques pas de faire. Hors de question.