« - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. » - Le Spleen Baudelaire.
Cimetière d'Aubervilliers -C’était un matin ensoleillé, un matin banal. Paris était toujours aussi spectaculaire, elle revêtait cette beauté si mystérieuse et atypique. Les rues s’éveillaient , les parisiens s’animaient, les commerces s’agitaient. Chaque journée était une esquisse de la vie: lorsque les premiers rayons venaient chatouiller la capitale, toutes les âmes allaient de concert. Le soir venu, la sénescence était complète; pourtant jusqu’à la dernière heure des réfractaires subsistaient.
En ce jour si particulier, Paris était encore plus belle. La splendeur que pouvait dégagé chaque rue, chaque parcelle d’avenue était exacerbée comme si tout était réuni pour ce dernier voyage, comme si Paris elle même faisait ses derniers adieux.
Cette ville lumière qui demeure et blessée aujourd’hui dans son âme, accueille en son sein, en sa terre ses amants, ses biens aimés ayant rendu leur dernier souffle.
Les corbillards poursuivent leur chemin et bientôt la descente s’amorce. Les pleurs cessent et le silence s’installe, plus horrible encore. La marche funèbre n’est plus.
Un vide immense prit place. Seul.
Avait-t-il déjà été aussi seul? L’individu restait là devant l’amoncellement de terre. Les fleurs étaient nombreuses, les mots d’adieux aussi. Lui ne parvenait pas à dire au revoir.
Mains dans les poches, ses membres étaient sclérosés. Aucun mot ne franchissait la barrière de ses lèvres. Ses yeux azurs rencontrèrent un mot, une dernière attention portée à l’égard de « Edgar ». Son souffle devint saccadé, ses jambes fléchirent; les forces lui restant s’échappèrent de son corps.
◊◊◊
Paris VIe Arrondissement -« Ce que nous entendons durant le sommeil, ce sont bien les battements de notre cœur, non les éclats de notre âme"
Les yeux fermés, le jeune homme tentait de suivre ce rythme. Ce son était rassurant, paisible à écouter. Il essayait de chasser ses angoisses; à vrai dire toutes tentatives étaient vaines.
Encore une fois, l'obscurité avait gagnée.
Ce rêve revenait sans cesse. Raphaël n'avait pas trouvé le sommeil depuis deux jours. Sa main droite vînt se blottir dans sa nuque, il exerça une pression comme tentant de s'extirper de cette asthénie.
Distinguer le rêve de la réalité n’était pas aisé et malheureusement ces songes n’étaient que des bribes du passé: des échos, des douleurs qui venaient l’asséner, le poursuivre. Il semblait que cette angoisse était perpétuelle; ainsi il devait apprendre à vivre avec.
Le jeune homme se leva lentement de son lit, abattu par ce manque de sommeil. Il regarda l’heure qu’affichait le radio-réveil. Un énième soupir traversa la barrière de ses lèvres.
Ses pieds nus touchèrent le parquet chauffé par les quelques rayons de soleil qui parvenaient à traverser les persiennes; cette chaleur inattendue provoqua une chaire de poule inopinée sur sa peau. Raphaël fit craquer l’ensemble de ses os et se leva enfin du sofa.
Le réveil était abrupt, sa tête tambourinait fortement et ses vêtements de la vieille lui collait au corps. Un sentiment de dégoût ne tarda pas à l’envahir, son ventre bouillonnait atrocement désirant évacuer les restes d’alcool subsistant.
« La vache » prononça-t-il d’une voix presque inaudible marquée par cette nausée irrépressible.
Le jeune homme accéléra le pas en direction de la cuisine- la salle de bain était bien trop éloignée. Ses pensées étaient embrumées mais pas encore assez pour savoir qu’il n’aurait pas le temps d’atteindre la cuvette de ses toilettes.
Ce fut comme si le flot de ses émotions étaient rejetées de manière soudaine. Cette effervescence avait néanmoins une odeur particulière. Ses abdominaux se relâchèrent enfin et sa respiration tentait de devenir plus régulière, un haut de coeur l’asséna une fois encore puis les battement de son coeur ralentirent.
Raphaël ouvra le robinet et l’eau déferla, emmenant tout sur son passage vodka, rhum et tequila.
Ses paumes accueillirent le liquide et il immergea son visage d’ange dans ce dernier: s’il n’avait pas cette gueule de bois il déclarait cela presque de « vivifiant ».
Le français était plongé dans les abîmes, loin des lourdes réalités qui l’attendaient aujourd’hui.
Il fut bien vite extirper de ce monde noir par le bruit âpre de son interphone.
Mâchoires serrées, il se redressa lentement, espérant être seul et ne pas recevoir dans l’instant. La personne insista et la sonnerie retentit une seconde fois.
« Putain » lâcha-t-il en fermant les yeux. Finalement il se décida enfin à ouvrir au présomptueux qui violait sa sonnette. Le jeune Lefèvre ouvrit avec force la porte blindée. La lumière du jour attaqua ses pupilles, il put à peine apercevoir la silhouette qui lui faisait face. Cette dernière se fraya un chemin dans l’entre-bâillement de la porte d’entrée. Le visage blême de Raphaël fut marqué par un agacement certain.