Charlotte contemplait les aiguilles de sa montre, une minute lui paraissait être quinze, elle mourrait d'ennui à petit feu au fond de la classe. Seule à sa table, comme d'habitude. Souvent, plutôt, n'exagérons rien. La plupart du temps, ce n'était pas plus mal, elle ne s'en plaignait pas. Elle arrivait à mieux se concentrer (étrangement les petits bruits de ses voisins l'ennuyaient) et terminait plus vite. Et elle n'était pas dérangée, c'était cela le pire. Ils lui demandaient tous, ses rares voisins, des questions sans fin. Sur sa jambe, son accident. Bien évidemment, c'était ce qui les intéressait. Charlotte aurait préféré s'en tenir aux questions sur leur travail, ça aurait été plus facile à répondre surtout qu'elle avait pris un peu d'avance, l'hôpital n'étant pas un club de vacances, elle n'avait eu que ça à faire un bon nombre de fois. C'était désolant. Mais quand ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, merci à ce cher professeur un peu flemmard, Charlotte s'ennuyait. Se sentait seule, rejetée. Ce n'était pas nouveau, elle s'y était habituée, mais cela était pesant. Bien qu'elle ne veuille passer de temps avec ceux qui la font souffrir. Sans qu'elle ne le montre. Ceux qui en font souffrir d'autres aussi, parce que quand ce n'est pas elle, c'est untel. Of course. Et, Charlotte, elle n'aime pas la méchanceté gratuite, mais que peut-elle y faire ? Elle a essayé au début, c'était pire ensuite. Alors, elle ne leur prête plus attention, qu'ils croient. Elle entend, mais ne répond pas. Ne leur donne même pas le plaisir de les regarder. C'est comme s'ils n'étaient pas là. Et elle trouverait cela merveilleux, Cha, que ce soit vrai. Pour une journée au moins, pour avoir un seul jour en paix. Mais, non, ils sont un vrai troupeau. Ça n'arrivera pas. L'adolescente pourrait dire quelque chose, c'est vrai, mais ce n'est pas son genre. Elle ne veut pas qu'ils aient des ennuis. Elle est trop gentille, Charlotte, sur ce coup-là.
La pause de l'après-midi sonne enfin, mais elle hésite à sortir, Charlie. Un grand bol d'air frais lui ferait le plus grand bien, mais ils se feront un plaisir de la mettre plus bas que terre. Elle sera seule, sur son pauvre petit banc. Comme toute cette journée-là. Ils l'ont remarqué et se sont fait une joie de le raconter aux autres. Pourtant, Le Roux sort quand même.
Tant pis ! se dit-elle.
Ils n'ont qu'à parler. Et, puis, elle a bien envie de s'asseoir, aussi. Le sol, c'est trop bas pour elle. Alors, elle se résigne à affronter leurs commentaires blessants. Pendant toute la pause. Ses seuls amis ne sont pas là, aujourd'hui. Leurs emplois du temps sont trop différents le vendredi. Charlotte, elle n'en peut plus. Il faut qu'elle sorte. Son dernier cours, elle n'aura qu'à le rattraper. C'est avec une sorte d'automatisme qu'elle envoie un message à Gideon, sous leurs regards perçants. Elle va à l'essentiel, Charlotte, elle ne veut pas qu'ils lisent. On ne sait jamais. Même si la cloche a déjà sonné, ils sont toujours là. À profiter du soleil un peu plus longtemps, de la vue aussi. Et, puis, Charlotte, elle réalise qu'il était peut-être occupé. Quelque chose d'important. Plus que sa petite crise de gamine. Elle avait besoin de voir un visage familier pourtant. Un visage bienveillant. Gideon, quoi.
Elle était perdue dans sa rêverie quand un
"Cha !" l'en fit sortir. Il était là, il était venu. Comme toujours, dès qu'elle demandait à le voir.
Gideon ! Elle trottina vers lui, un sourire aux lèvres.
Merci d'être venu, ajouta-t-elle en le serrant dans ses bras. L'adolescente était contente de le voir, ça c'était sûr. Son sourire s'étendait désormais jusqu'à ses oreilles, c'était ainsi à chaque fois. Gideon avait le don de la faire sourire, de la faire aller mieux. Sans rien dire, juste en étant présent. En étant Gideon, tout simplement. Cependant, il n'était pas comme d'habitude, pas complètement. Il avait cet air, qu'elle avait déjà vu, mais qu'elle n'identifiait pas.
Je ... Je t'ai dérangé ? L'adolescente entortilla une mèche de cheveux autour d'un de ses doigts. Ça n'avait peut-être pas été une bonne idée, de l'appeler au secours. Il avait une vie, elle ne pouvait s'attendre à ce qu'il lâche tout pour venir la voir. Chaque fois que cela arrivait.
Si c'est le cas, désolée. J'avais l'impression qu'on s'était pas vus depuis longtemps. Même pas une semaine, probablement trois jours, moins peut-être, mais ça lui paraissait toujours long. Les moments de battement.
Et, puis, j'avais vraiment besoin de partir du lycée. Tu es le premier auquel j'ai pensé. Elle le regarda, avec un léger sourire, comme si ça pouvait arranger son impulsivité et sa manie de toujours compter sur lui. De dépendre de lui, même. Pour quoi que ce soit, quoi qu'il arrive.