Après une brève étreinte je me détache d'Ambre pour que nous puissions rejoindre la voiture. J'apprécie la retenue du couple, qui ne me bombarde pas tout de suite de questions concernant la nuit dernière. Il faut dire que je n'ai pas été très loquace au téléphone... j'ai juste dit que j'allais bien, et qu'il fallait venir me chercher à l’hôpital. « J'ai été mieux, mais ça va passer. » Je dis d'une voix confiante pour les rassurer tout les deux. Ce n'est pas comme si j'allais me briser en milles morceaux. Il est évident que ce qu'il s'est passé hier était une situation stressante mais j'ai appris à le gérer quand je parcourais les rues de Paris dans un camion de pompier... Tout ce dont j'ai besoin c'est qu'on ne me regarde pas comme si j'étais une poupée prête à se casser.

Un petite rire s'échappe de mes lèvres en pensant à Loki et Smoothie portant sur moi un regard de chien battu. « Je leur donnerai un petit truc pour me faire pardonner, ces deux là ne pensent qu'avec leur ventre ! » Il faut de la patience pour élever deux chiens comme ceux-là. Personnellement je me satisfais tout à fait de Yoshi, la tortue qu'Ambre m'a offerte pour « tromper la solitude ». Je lui donne parfois d'autres surnoms mais Yoshi reste son petit nom « officiel », elle est adorable et bien moins salissante que des chiens. Non que je sois maniaque, mais j'aime avoir un appartement à peu près propre – sauf la chambre dans laquelle je dessine mes croquis, là-dedans c'est un vrai capharnaüm ! Tybalt m'invite à les rejoindre un moment chez eux, proposition à laquelle je m’apprête à dire oui quand Ambre fait sa tête de mule : « En fait, il te pose la question mais moi je dis que t’as pas le choix que de venir. » Celle-là n'en perd pas une ! « J'allais dire oui, blondie ! » je la taquine en riant un peu. Je n'ai jamais vu l'endroit où ils ont construit leur petit nid et j'ai hâte de le découvrir. L'endroit où l'on vit en dit beaucoup sur une personne selon moi, sur sa personnalité et son caractère...

Ambre, fidèle à elle-même, n'en perd pas le nord. Nous avons beau être en train de rire elle se rappelle bien la raison de notre rencontre d'aujourd'hui : « Abby, il s’est passé quoi ? Comment tu t’es fais ça ? » Je déglutis péniblement. Ma sœur porte un regard sérieux sur moi, déterminée à savoir ce qu'il s'est réellement passé et non un mensonge que je pourrais sortir pour la préserver. « Je me suis pas vraiment fait ça toute seule, tu vois. » j'essaie de plaisanter mais mes mots sortent cyniquement. Bon sang je n'y arriverai jamais... « C'est pas grave, mon copain avait bu, ou il s'était drogué je pense, et il m'a coincée sur le mur avec un couteau sous la gorge. Mais mon voisin est intervenu apparemment, et il a appelé la police et l’hôpital. » Je crois que ma tentative de minimiser les faits est vaine, quoi que ça marchera peut-être... « Quelques semaines et il n'y paraîtra plus ! »

Bon, j'aurais peut-être du éviter de raconter ça à Tybalt alors qu'il conduit... j'ai beau essayer de paraître forte, de faire comme si ça ne me touchait pas, ils savent bien que ça n'en est rien. Je ne suis pas brisée, je ne vais pas m'effondrer là, maintenant, mais cette histoire m'a remuée. C'est en voyant l'expression préoccupée d'Ambre que je me rends vraiment compte que j'aurais pu mourir, sans mon voisin. Moi j'étais à terre, inconsciente, et si il n'avait pas géré mon copain et appelé les secours, … je ne préfère pas y penser. Contrairement à la psy je ne peux pas mentir, ils me connaissent trop bien. J'ai l'impression d’être mise à nue alors que je suis couverte jusqu'au cou. « C'est ton mec qui t'a fait ça? … J'espère qu'il est en train de crever en cellule actuellement? » J'acquiesce, mais il conduit donc je ne sais pas si il a bien vu mon signe de tete. « Mon ex, plutôt. Moi non plus je ne l'aurais jamais cru. Ses yeux étaient... je sais pas, il n'était pas lui-même. Mais oui, il est en cellule actuellement. J'ai déjà fait ma déposition aux urgences. » Raconter tout ça, encore et encore, m'avait épuisée. Les médecins ont voulu me garder là pour me garder à l’œil, j'étais tombée inconsciente quelques heures plus tot et il y avait trop de risques pour retourner chez moi. En plus il y a peut-être encore des policiers là-bas. A moins que je ne regarde trop la télévision : la police scientifique est censée passer pour prendre des preuves non ? Bref, je verrais bien là-bas, si ma petite sœur ne me prends pas en otage chez elle.

Le médecin m'a donné quelques jours de congés sauf que je ne peux pas me permettre de laisser tomber mon équipe. Je prendrais juste deux jours, aujourd'hui et demain, puis je retournerai au boulot pour la réunion préparant le prochain défilé. Heureusement je leur ai envoyé quelques uns de mes croquis sur lesquels ils peuvent commencer à travailler. C'est déjà ça, je ne devrais pas perdre mon job.

En ce moment j'apprécie beaucoup le silence monumental de ma sœur avant la tempête. Parce que je sais qu'il y en aura une. Elle ne me fait pas la morale en me disant qu'elle me l'avait bien dit, personne n'aurait pu imaginer ce qui m'est arrivé. Ambre n'a jamais aimé mon ex, ce n'est pas un scoop, et je ne crois pas me tromper en disant que maintenant tout ce dont elle rêve c'est de lui arracher les couilles avec une tenaille.  « Abby, c’est pas rien ! Imagines si ton voisin n’était pas intervenu, tu serais.. » Un poing enserre lentement mon cœur, je retiens mon souffle parce que je sais ce qu'elle n'a pas dit : je serais morte. Quelques millimètres plus en arrière et il coupait ma jugulaire, en me laissant me vider de mon sang dans l'entrée. « Je sais ma belle. Mais je suis là, hein... et lui est en prison. » Je pousse un peu la ceinture de sécurité pour me pencher en avant, mettre les mains sur les épaules d'Ambre et poser ma tête sur le coté de son siège. « Ça va aller, d'accord ? J'ai eu peur, j'étais terrifiée, mais je suis vivante et je compte bien continuer à t'embêter encore très très longtemps. » Ma voix est douce, rassurante. C'est ce dont on a tous besoin : un peu de douceur dans ce monde de brute. Je suis toute excitée à l'idée de découvrir l'endroit où ils vivent. Sans compter sur ma sœur qui veut tuer mon ex-petit-ami. J'adore la voir hargneuse comme ça, elle est mignonne, quand elle veut me protéger. « Il ne va pas s'en tirer facilement tu sais, il y aura un procès, et tout ça... mais il ne va pas sortir avant un moment. » Combien de temps exactement ? Je ne me souviens plus vraiment. Il faudra que je fasse des recherches. « J'ai un peu faim les loulous, l’hôpital c'est le top si tu veux perdre du poids. En revanche si tu veux pas bah... tu peux dévaliser l'épicerie du coin. » J'ai une théorie là-dessus : ils donnent des repas médiocres juste pour que leur cafétéria – où bon nombre de patients de retrouvent – fasse d'excellentes recettes.
 

Tybalt prends la main d'Ambre pour la rassurer un peu, il a l'effet d'un baume apaisant sur ma petite sœur, comme si ils se connaissaient depuis une cinquantaine d'années. « Les mecs violents avec les femmes se font défoncer en prison de toute manière » La peur s'insinue en moi. C'était mon petit ami quand même... je ne me voyais pas passer ma vie avec lui mais rester à ses cotés c'était simple. Jusqu'à hier soir, où il a pété les plombs. J'ouvre la bouche pour rétorquer que ce serait horrible mais je m'en empêche. Il l'a mérité après tout, il a failli me tuer ! Ces trucs là on ne les voit que dans les films de gangsters ou les romans à l'eau de rose dans lesquels le héros vient sauver l’héroïne. Mais je n'ai rien d'une héroïne, en fait. C'est juste mon voisin de palier qui a eu l'amabilité de m'aider quand il a vu que la situation était sérieuse. « On a de quoi manger à la maison, t'inquiète » Je ris un peu avant de découvrir l'immeuble dans lequel se situe leur loft. « C'est bien, je me sens comme si je pouvais manger un ours. » Ou un camion de tablettes de chocolat, plutôt.

« Et moi je ne pourrais pas vivre sans ma petite sœur. » Je lui fais un petit bisou sur la joue pour essayer de la détendre mais elle est encore toute crispée et affirme que son châtiment ne serait pas suffisant après le mal qu'il ma fait. « Ouais, t'as probablement raison mais il faut laisser faire la justice... » Quand quelqu'un brise la confiance que vous aviez mis en lui, c'est comme si il brisait une partie de vous. J'ai mis ma confiance en la mauvaise personne. Je lui ai confié mes joies et mes peines, et il a mis un couteau sous ma gorge comme si c'était normal. C'est un déséquilibré, c'est certain.

Je continue de caresser l'épaule d'Ambre en petits cercles pour la détendre. Cependant c'est peine perdue, le temps sera mon meilleur atout selon moi. Et Tybalt... « Si tu veux, je peux te faire des lasagnes végétariennes. » Les lasagnes d'Ambre... il faut vraiment que je paraisse mal en point pour qu'elle me propose un délice pareil. D'accord, c'est simple, mais j'adore les lasagnes. « Mmmm... tes lasagnes... avec plaisir ! » Nous entrons dans le loft qu'ils partagent. Un vrai nid d'amoureux ! Ils y habitent depuis un petit moment toutefois c'est la première fois que j'entre. L'appartement est à leur image, je reconnais bien la personnalité d'Ambre et celle de Tybalt dans la façon dont ils ont décoré les pièces. « Tu me fais visiter, maestro ? » Je demande à Tybalt armée d'un sourire colgate.

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