encore une visite où on t'dit que ce sera pour la prochaine fois. tu commences vraiment à perdre patience maribelle. et pourtant, tu dis rien. tu persistes à prendre sur toi. poupée au sang froid, qu'encaisse, encore, toujours. jusqu'au jour où ça finira par exploser. t'étais belle avant, poupée à la crinière de feu. tu rayonnais avant. t'avais cet éclat au fond d'tes prunelles. aujourd'hui, tes iris sont bien trop sombres. fatiguée d'attendre. lassée d'rester là, les bras croisés, à subir l'temps qui passe. aujourd'hui, il paraît que c'est différent. l'toubib, il a dit qu'on venait d'franchir une étape. mais toi, t'y vois rien. t'es loin d'être de cet avis. tant qu't'auras pas la preuve formelle d'une avancée concrète, t'as bien l'intention de te terrer dans un pessimisme sans faille. t'as rendez-vous avec un prothésiste pour discuter d'toutes celles qui existent. quand il t'a dit ça, l'type avec sa blouse de grand-chef, t'as levé les yeux au ciel. depuis l'temps que tu l'entends, cette phrase aussi. de toute façon, tu ne t'es pas levée de bonne humeur. journée d'merde en perspective, tout c'que t'aimes, à n'en pas douter. en plus de ça, c'est bien beau de dire qu'il faut voir le prothésiste mais en attendant, faut qu'tu te tapes une heure et demi d'attente entre tes deux rendez-vous. pour peu qu'l'autre soit en retard en plus, ce serait le pompon. et toi, tu vas faire quoi, hein ? oh bah tiens, si t'avais que ça à foutre de parcourir les couloirs d'l'hôpital. sûr que c'est simple en plus, avec ta carriole. poupée qui passe son temps à grogner. pas très aimable aujourd'hui la verdier. en même temps, t'es pas réputée pour l'être non plus alors c'est pas non plus le scoop du siècle.  il te faut un café. c'est plus qu'un besoin à ce stade-là, ça en devient presque une nécessité. si tu veux pouvoir garder un semblant de calme et de détachement lors de ton prochain rendez-vous, il vaut mieux que tu ais une dose de caféine dans les veines. ce serait préférable. autant pour toi qu'pour le prothésiste. tout ceci étant méticuleusement réfléchis, tu te rends à la cafétéria. toi, et ton chariot, bien évidemment. y a des regards qui n'trompent pas. y en a qu't'as pas envie d'voir non plus. ceux qui sont plein d'pitié. une gamine coincée dans un fauteuil, ça attire la compassion. bande d'abrutis. aucun n'est capable de savoir c'que tu ressens, prisonnière de cette foutue chaise métallique. poupée qu'a pris la mauvaise habitude d'grogner dès qu'on la regarde un peu d'travers. la nénette, derrière son comptoir, elle t'regarde de haut en te demandant ce que tu veux. tu serres les dents l'espace d'un instant, prenant une grande inspiration. surtout, rester calme. tu commandes ton café noir, grand format. elle arque un sourcil, l'air de dire qu't'en as pas besoin. bon sang mais qu'elle te le serve au lieu de t'regarder comme ça. vous voulez que je vous le dépose sur une table ? qu'elle te demande, tenant le gobelet renfermant le précieux liquide. voilà, c'est ça qui t'insupporte par dessus tout. cette envie d'vouloir toujours bien faire, de chercher à t'faciliter la vie. t'es pas manchote, merde à la fin. t'as qu'une jambe en moins, pas la peine d'en faire tout un drame. de toute façon, t'as décrété que tu ne pourrais être que la seule à t'maudire pour ce qui t'es arrivé. du coup, personne n'a le droit de s'sentir coupable pour un accident qui est entièrement de ta faute. et puis, de toute façon, qu'est-ce que ça peut leur foutre, à eux ? ils ont toujours leurs deux jambes alors en quoi est-ce que ta condition est en mesure de les toucher. tu grognes que ça ira, qu't'as pas besoin d'aide. poupée au regard qui s'assombrit. si tu avais pu, tu l'aurais probablement tuée sur place. encore une raison qui fait qu'tu détestes sortir de chez toi. t'as récupéré le gobelet à peine l'avait-elle déposé sur le comptoir, tu l'as calé entre tes cuisses pour être sûre qu'il ne chavire pas et t'es retournée à la conquête de trois sucres en sachet qu'tu jette négligemment sur tes genoux. malgré la chaleur du gobelet, que tu sens aisément à travers ton jean, tu prends la direction de la sortie. comme un besoin d'air frais, une envie d'évasion constante que tu traînes depuis qu't'es bloquée dans ta chaise à roulettes. une fois à l'extérieur, tu t'cales dans un coin, t'espères qu'tu pourras être tranquille le temps de déguster ta boisson chaude. d'ailleurs, t'entreprends d'verser le sucre dans l'gobelet. petit problème cependant, y a le couvercle qui s'fait la malle. lui aussi avait visiblement envie d's'évader. tu pestes plus pour toi qu'pour autre chose. journée d'merde qui continue. tu voudrais bien l'ramasser. enfin, t'essaies. mais entre le gobelet plein de café et ton incapacité à t'extirper du fauteuil, tu t'emmêles les pinceaux princesse. tu rages maribelle. tu râles aussi. jusqu'à ce que tu te rendes compte qu'on t'fixe. enfin, tu l'sens plutôt. tes prunelles accusatrices croisent le regard de la personne concernée et tu fronces les sourcils. quoi ? t'as jamais vu quelqu'un galérer d'ta vie ? agressive maribelle. un peu plus, un peu moins. tu ne dois plus vraiment être à ça près quand on y repense.